C'est un petit commentaire de Fortunato qui m'a donné l'idée de ce billet. Ce n'est pas une réponse, ni une justification, mais comme le dit le titre, une réflexion. Ça m'a rappelé deux choses fondamentales : la première, qu'il ne faut pas que mon blog se résume à une succession technique d'appréciations ô combien subjectives sur tel ou tel thé, provenant de telle ou telle boutique, mais qu'il me faut essayer de rester plus large d'esprit. Ensuite, de l'importance de parler de ma Voie du Thé (ça aurait été un meilleur titre de blog après réflexion) dans la vie de tous les jours, quand théières ou autres zhongs sont au placard.
Je me rappelle de mon dernier voyage au Japon où je dévorais pas mal de bouquins en rapport avec leur culture. En premier lieu, c'est le Maître de Thé d'Inue Yasushi qui m'a accompagné alors que j'étais à Kyoto, la ville que je préfère parmi toutes, tous pays confondus. L'on y découvre ce qu'on pourrait appeler LA voie du thé, dictée par Sen no Rikyû, la manière simple et saine de concevoir non seulement le thé, mais la vie en général. D'ailleurs, il est intéressant de savoir qu'une grosse partie de l'esthétique japonaise, de l'architecture d'intérieur en passant par l'ikebana, certaines pratiques culinaires et autres formes d'art, sont issues du chado.
Alors, c'est donc une lecture de choix, surtout à la visite du musée Raku et des pièces de Chojirô (bien que j'avoue avoir regretté de n'avoir pas de meilleures connaissances théoriques en matière de poterie.) C'est une lecture qui ouvre les yeux sur une philosophie que de nombreux hommes et femmes ont adopté comme précepte de vie : le culte de la simplicité, de la recherche perpétuelle sans pour autant qu'il y ait de finalité atteignable de son vivant, une quête comme celle de l'inaccessible étoile que chante Brel en quelques sortes, pour faire un parallèle audacieux. Du moins, c'est comme ça que je la vois.
Car c'est ça pour moi qui est important : l'appropriation de ces concepts. Car il est clair qu'il est impossible de nos jours de vivre selon la chado pur et originel, à moins d'un renoncement total illusoire à mes yeux. Mais ce n'est pas pour autant qu'on ne peut pas entretenir l'esprit du thé dans sa vie : appréhender les choses avec calme, simplicité et ouverture d'esprit, ne pas s'encombrer de choses futiles qui nous encombrent, chercher le perfectionnement en toute chose dans le respect d'autrui, etc.
Vous me direz, c'est peut être plus emprunt au bouddhisme qu'à l'esprit du thé tout ça. C'est pas faux, comme dirait l'autre... Comme on l'apprend dans Le Livre du Thé de Kokuzô Okakura, l'esprit du thé s'est façonné autour du zen (secte bouddhique) et du taoïsme (religion chinoise). Il n'est donc pas étonnant de retrouver des notions méditatives qui vont bien au-delà du simple breuvage. Ceci fait à mon sens toute la différence avec le Gong Fu Cha, qui n'est là que pour tirer le meilleur de ses feuilles.
C'est aussi une réflexion sur l'esthétique : boire son thé dans des objets assymétriques, sombres, imparfaits. Pour comprendre cela, je ne pourrais que vous conseiller de lire l'excellentissime ouvrage L'éloge de l'Ombre de Junichirô Tanizaki, un livre qui m'a littéralement boulversé et permis de mieux comprendre l'esthétique japonaise. Et puis, on peut s'extasier devant une Yixin en terre épuisée, mais niveau beauté pure, je trouve qu'elles ne rivaliseront jamais avec un kyusu comme on peut en voir a Tokoname, sans parler des tasses et autres bols et de la vaisselle en général... Les américains ne semblent jurer que par les services de vaisselle chinoise, cadeau de mariage presque obligatoire, je les invite à déguster un kaiseki dans une multitude de petits plats assortis aux aliments. Mais je ne vais pas me lancer dans la gastronomie nippone, sinon je ne vais jamais m'arrêter...
Bref, la voie du thé a quelque chose de précis, tout en étant une quête sans fin, à mes yeux en tout cas. En ce qui concerne le thé, comme tout ce qui est japonais, c'est extrêmement codifié, héritier de pratiques centenaires, mais ce n'est pas ce qui est important à mes yeux. Tout comme la religion, je ne me vois pas appliquer quelque chose de "figé," d'imposé. Chacun a la relation qu'il veut avec la foi, mais en passant par l'homme tout est modifié même un tant soit peu. Il en va de même pour le thé.
Ma voie du thé est donc la récupération de l'esprit qui entoure la dégustation du thé mais aussi de la vie, dans sa simplicité et la recherche. Pour prendre l'exemple d'une dégustation, tout le monde s'accordera à dire que si on porte sa tasse aux lèvres en ayant une quelconque attente sur le goût, on n'aura que peu la capacité de transcender ses impressions, faute d'ouverture d'esprit. Il convient donc de faire le vide, de fermer les yeux - il est bien connu que les aveugles ont leurs autres sens plus développés - et d'appréhender son breuvage avec simplicité et humilité.
Il en va de même avec n'importe quelle chose de la vie, expériences diverses et variées : on peut partir avec des a priori, des attentes, mais on ne sera alors pas à même de profiter pleinement de la chose, d'en tirer le maximum d'enseignement. C'est ainsi que j'essaye d'aborder les choses.
A mon tout petit niveau, depuis que je me suis mis plus sérieusement au thé, je remarque que mes sens gustatifs sont plus en éveil ne serait-ce que par l'effort de supprimer les attentes. Je me sens plus à même de déguster des vins en finesse, la cuisine en général, les parfums...
Mais encore une fois, il en va de même pour tout ! On peut réécouter des morceaux de musique que l'on connait par cœur, relire une partition dans cet état d'esprit et y découvrir de nouvelles choses, redécouvrir des personnes.
De même qu'on va essayer des dosages différents, des temps d'infusions plus courts ou plus longs, on peut aussi en faire de même dans plein de domaines. Qui a dit qu'il n'y a qu'une seule façon de faire telle ou telle chose ? Combien de fois répète-t-on par jour des gestes conditionnés sans y réfléchir, sans les analyser ? C'est la première chose qui m'a frappé au Japon, où ils ont l'art d'avoir repensé plein de choses du quotidien pour les améliorer alors que nous n'évoluons pas nous autres, presque bêtement. Pour prendre un exemple récent et rigolo, j'ai réalisé lors d'une de mes dernières séances chez le dentiste que je ne m'étais jamais réellement correctement brossé les dents, et pourtant combien de fois ai-je fait ces gestes sans y réflechir ?
Alors, ce billet va bientôt ressembler à un fourre-tout si je ne m'arrête pas.
Ma voie du thé va au-delà du simple breuvage. Elle se veut un point de départ d'une nouvelle ouverture sur les sensations de la vie. A chaque fois que je me fais un thé dans de bonnes conditions, ça me relaxe, me fait réfléchir et méditer, me détend. Ce n'est pas le thé qui me drogue, mais cet état d'esprit. Mon but est d'essayer d'étendre cette quête d'apprentissage et cet état d'esprit à plus de choses de ma vie courante, pour me sentir aussi bien qu'autour de ma table de thé toute la journée...
A bientôt !
& bien ma foi, ça c'est ce que j'appelle du 'torché top nickel chrome' ! Je pensais pas que ma p'tit'remarque pouvait t'inspirer autant, haha...
RépondreSupprimerOui, ce livre est une merveille.
RépondreSupprimerbeau texte par ailleurs david
Salut David,
RépondreSupprimerJ'avais comme "Zappé" ce très bon article,merci à Nicolas et à Toi surtout.
Pourtant je l'ai parcouru ton Blog;j'ai du comme tu le montres dans l'article "trop" m'accrocher à la recherche d'une belle Terre,une Yixing,une description de Thé par tes soins,une belle photo pour passer à coté de ces réflexions qui me parlent aujourd'hui...
Peut être que je n'étais pas prêt à lire ce genre de réflexions profondes et simples finalement...
D'ailleurs la semaine dernière afin de perfectionner mon " english " je me suis mis à la lecture de "The Book of Tea" d'O.KAKUZO.
Si cela intéresse quelqu'un de plonger dans une philosophie simple et clair et d'améliorer ses connaissances en Anglais il est en ligne sur mon Blog de Photos:
http://filipekfotoshoot.blogspot.com/2010/12/variations-i-like-japan-book-of-tea.html
Le mieux est d'avoir le livre en main mais cela me permet de faire une pierre deux coups!
Merci David.
Amitiés.
. PHILIPPE .
Merci Philippe.
RépondreSupprimerJ'ai vu le livre sur ton blog de photos (j'y passe tous les jours à présent.) Personnellement, ce n'est pas mon préféré, un peu trop ésotérique pour moi, faute de meilleur mot.
Par contre, le premier livre présenté dans cet article est un véritable bijou qui cache bien plus que l'histoire de Sen no Rikyu.
Quant au dernier, l'Éloge de l'Ombre, je ne saurais que trop insister sur le bonheur que m'a procuré sa lecture, à chaque fois. Comprendre l'esthétique japonaise est tellement plus facile après ce livre.
A+
Merci c'est noté .
RépondreSupprimerIl y a un autre livre qui m'a aussi bien marqué ces derniers temps c'est le livre de SHUNRYU SUZUKI :
"Esprit Zen , Esprit neuf. "
Bon Dimanche .
Merci.
. PHILIPPE .
Je le note ! :-)
RépondreSupprimerBonjour, un grand bravo pour cette synthèse de l'esprit du thé selon les japonais, que je trouve très juste - bien que, comme tu le dis, il y ait tant à dire...
RépondreSupprimerJean Montseren a aussi écrit un "Livre du thé" tout à fait remarquable, où il traite d'excellente façon de l'esprit de la voie du thé en philosophe et maître de thé, empreinte du Tao comme du Zen.
Il y a de même "Vie du thé esprit du thé" de Sohitsu Sen (qui a écrit les excellentes préface et postface du livre d'Okakura Kakuzo).
Cordialement, Jean-Claude
Bonjour Jean-Claude et merci. Je ne connais pas ces livre dont tu parles, mais je vais me renseigner.
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