mardi 19 octobre 2010

Série wulong (3) - suite : emploi de la théière





 




Un ajout par rapport à l'article précédent sur les oolongs taïwanais à faible torréfaction. Après son écriture, j'ai essayé de mettre à mal certaines de mes hypothèses. Je me suis trouvé un peu dur concernant l'usage de la théière sur ces thés, voire de sa taille minimale. La grande question est : si le zhong permet un rendu hyper fidèle des arômes et des saveurs, quelle est la valeur ajoutée de la théière ? Dans cet article, j'essaie d'apporter de l'eau au moulin, mais il est à voir plus comme une réflexion "à voix haute." Le choix final sera selon les envies de chacun.








Ces dernières semaines, j'ai un peu chamboulé l'attribution de mes théières. J'ai notamment mis ma Yu Zhu à travailler sur les wulongs peu/non torréfiés, histoire de voir la différence avec ma Tozo qui officie actuellement dessus.

Un petit mot sur ces changements d'attribution. Avant, je les craignais, je faisais des comparaisons rapides entre théières pour décider quelle était la meilleure pour une famille de thés, mais pas trop "de peur" de mal la culotter, voire de la déculotter. Mais baser mon jugement sur deux ou trois dégustations n'était en fait pas une très bonne idée. Je préfère les faire travailler plusieurs semaines sur une catégorie et voir si ça me plait sur la durée. Il en résulte une meilleure connaissance de ce qu'elles donnent, et également l'impression que la règle du "une théière par famille de thé" n'est pas à prendre au pied de la lettre, du moins pour des terres qui ne sont pas très poreuses, comme cette zhuni.








Donc, j'ai essayé ma Yu Zhu sur des gao shan cha et autres oolongs de Taïwan pas très torréfiés et le résultat est vraiment intéressant. Je me souviens avoir fait beaucoup d'essais avec ces thés quand j'avais reçu cette théière. Puis, ses parois moyennement épaisses et sa bonne tenue en température m'avaient poussé à essayer d'autres variétés : puerh, wuyi yan cha. Ensuite, j'ai cherché un volume plus faible pour ces derniers, car vu que je les dose assez fortement, les boites se vidaient trop vite à mon goût. Et pour les puerh, je me suis dit que c'était peut-être un peu dommage de consacrer une théière aussi performante pour des thés qui n'ont pas forcément besoin d'un instrument top-niveau (zhuni ancienne,) contrairement à certains wulongs. Bref...

Ce qu'il y a de bien avec cette Yu Zhu, c'est que sa forme se prête à tous les thés. C'est un sacré avantage. Son volume de 12 cl n'est pas limitatif pour les wulongs comme les gao shan cha - si on n'en met pas trop bien entendu - encore une fois grâce à sa forme.

Pour mes essais récents, j'ai employé deux protocoles différents : une quantité de feuilles assez faible, genre 2-2.5g pour des infusions longues (3-4min pour commencer) et un dosage plus fort de 4-5g (2 min.) Les rendus sont intéressants.








Je pense que pour le premier dosage effectué, la qualité de la théière importe moins que pour la seconde, même si la bonne tenue de température aidera. Le résultat sera meilleur qu'avec une théière en verre ou en porcelaine cela dit.

Je me suis demandé pourquoi cette technique d'infusion très light ("yin") fonctionnait bien pour les gao shan cha et autres oolongs taïwanais à la torréfaction faible. En fait, à y réfléchir, c'est assez proche de la méthode rencontrée pour les thés du commerce et souvent utilisée avec un grande théière : un ratio feuilles/volume faible et des infusions longues. Ce n'est pas un mal : le but n'est pas de faire du gong fu cha à tout prix, mais d'obtenir la meilleure tasse possible à son goût.

En fait, j'ai l'impression qu'au bout de quelques minutes, un wulong dégage des saveurs qui viennent adoucir certains tanins un peu abruptes, capable de cacher une certaine amertume, comme si on avait très légèrement sucré le thé. Bien sûr, une faible quantité de feuilles va limiter ce phénomène qui peut être désagréable (pas toujours.) On peut rapprocher cette observation de celles évoquées par Thomas dans le cadre de ses infusions longues pour les thés de rochers et les dan cong. C'est d'ailleurs suite à la lecture de son blog que j'ai découvert cette explication possible. Et je pense que c'est le cas ici.

Les wulongs frais se prêtent particulièrement bien à cette technique. Je vous encourage à essayer, même avec une grande théière. Ce sera peut-être considérer par certains comme du gâchis, mais vous n'êtes pas obligé non plus d'essayer avec votre meilleur Da Yu Ling. Un wulong dont la fraicheur serait passée sera toujours très agréable ainsi qui plus est.








Pour le deuxième dosage, environ 4-5g pour 12cl, il faut des temps plus courts, environ deux minutes pour commencer. On baissera la température après la première infusion si on le souhaite. C'est ce que je fais, les parois de ma théière étant légèrement épaisses, je n'ai pas envie de "cuire" les feuilles. En fait, je sors la bouilloire du feu et ne la réchauffe qu'après quelques infusions. Le rendu est un peu mieux ainsi, mais c'est une question de goût j'imagine.

Je pense que dans ce cas précis, la théière joue un rôle plus important, et se distingue plus du gaïwan. Je m'explique.

J'ai le sentiment que la théière sert surtout à aller là où le zhong ne peut amener. Elle extraira plus en puissance le contenu aromatique des feuilles, mais saura arrondir les tanins trop puissants et parfois désagréables. Tout ayant des limites bien entendu. Une limite haute : sous prétexte d'arrondir, il ne faut pas cacher trop de nuances. Une limite basse : ça ne fera pas tout non plus.







Ici, si on met 4-5g d'un oolong frais dans un zhong et qu'on infuse suffisamment, apparaitra naturellement une amertume qui viendra couvrir certaines notes, notes qui n'étaient pas forcément perceptibles avant. Personnellement, c'est un point de frustration car même si l'amertume vient gâcher le contenu de la tasse, on arrive ainsi à une concentration de saveurs très agréable, un sentiment d'en avoir "plein la bouche," que le thé n'est pas plat ni trop aqueux. Une (bonne) théière sera là pour permettre de cacher l'amertume, d'organiser toutes les saveurs et donc d'avoir ce ressenti plus "plein" sans fausse note, en douceur. Cela conduira à une longueur en bouche différente, laissant au moelleux le temps de se transformer, en gommant une certaine astringence qu'aurait laissé le zhong. Notez que cette raison peut à elle seule faire préférer la théière à la porcelaine par certains, quel que soit le dosage.

On pourra également grâce à cet instrument faire apparaitre de manière plus franche certaines notes d'un thé, même en employant exactement les mêmes paramètres qu'avec un gaïwan. Le thé sera alors moins aérien mais plus rond.

C'est enfin grâce à elle qu'on obtiendra une texture en bouche particulière, moins fluide qu'avec le zhong.








Donc pour résumer, il y a bien des manières de préparer ces thés : avec un zhong avec des dosages prudents, en théière en dosant faible et en infusant long, ou en dosant un peu plus fortement. Il y a aussi des gens qui les boivent avec un très fort dosage quel que soit l'instrument choisi. Tout est une question de goût.

En ce qui me concerne, j'aime bien les infusions "yin" en zhong ou en théière en fonction des envies. Mais se priver de faire des essais avec un dosage plus important est dommage à mon avis.

Quand j'ai abordé ces thés au printemps dernier, je pensais qu'ils ne me poseraient pas trop de problème. J'avais déjà pratiqué un peu avec la porcelaine, mais pas en théière. Je me suis rendu compte que j'avais été prétentieux. Trouver les bons paramètres demande du temps et une bonne dose d'expérience est donc nécessaire. Obtenir quelque chose de bon n'est pas très difficile. Aller chercher les finesses de ces thés l'est un peu plus.

Alors voilà où j'en suis. Votre opinion et vos expériences m'intéressent bien évidemment. Je voulais un peu réfléchir à cela alors que je débute sur cette voie et revenir sur l'usage de la théière, en particulier pour les wulong frais. Il y a matière à creuser, des secrets à percer et bien des choses à découvrir encore. Rien ne remplace l'expérience, et la patience.



 

À bientôt.




PS : cet article est illustré par des photos de mon nouveau coin thé, version améliorée. Merci à mon père pour le plus gros de la réalisation ! La qualité des photos quant à elle n'est pas extraordinaire,  mais ça devrait s'améliorer sous peu !