mardi 28 septembre 2010

Série wulong (3) : thés peu ou non torréfiés










Quelques mots sur les wulong taïwanais, gao shan cha, baozhong, dong ding modernes, voire Tie Guan Yin chinois, histoire de compléter cette série.

Au printemps dernier, j'ai commandé pas mal de ces thés à Stéphane. Après de nombreux essais, de variations sur les paramètres, achat de théières dédiées, etc, je me sens encore incapable d'en parler très précisément. Ces thés ne sont pas si simples que cela à bien réussir, en théière en particulier. On obtiendra facilement des choses plaisantes, mais, pour autant, mettre en valeur leurs finesses n'est pas forcément évident. Il y a quelques règles à respecter.








Le trop est l'ennemi du bien.


Comme je l'annonçais dans l'article précédent, je n'ai jamais réussi à apprécier des wulongs peu ou pas torréfiés avec un dosage fort, voire même moyen.

Quelques billes au fond d'un gaïwan ou d'une théière suffisent amplement. On peut être légèrement plus généreux pour un baozhong, du moins en apparence vu que les feuilles sèches prennent pas mal de volume. Ces thés sont vraiment dans la finesse et pour moi les infuser en tant que tel est important. On privilégiera donc des infusions longues, surtout en théière. Avec cette dernière, on s'éloignera peut-être de ce qu'on appelle "gong fu cha" pour baisser le ratio feuilles/eau et se rapprocher d'une infusion plus classique. À noter que l'emploi d'une grande théière donne des résultats très honnêtes.








Le zhong.


Il est pour moi le meilleur allié possible. D'abord, ces thés sont très fragrants et trouver une théière qui n'atténuera pas ces parfums n'est pas simple. Il faudra une terre dure, type zhuni, et aux parois fines pour ne pas cuire ces feuilles fragiles. Rien de mieux que le rendu précis de la porcelaine, si possible de bonne qualité. Évidemment, ce n'est pas une règle stricte : avec la bonne théière, si possible bien culottée, on obtiendra un bon résultat, qui arrondira un peu certaines notes abruptes d'un jeune wulong fougueux. Mais un zhong ne déméritera jamais si bien employé.








Le volume.


Je pense qu'on tient ici quelque chose d'important. Les gao shan cha ont une capacité d'expansion fascinante ! Quelques billes se métamorphosent comme par magie en joli volume de feuilles. Leur offrir la place pour bien s'ouvrir est une clé de la réussite de leur infusion. C'est pour cela qu'il faut ranger ses accessoires trop petits, car même un dosage léger ne change pas la taille des feuilles. Un volume de 15cl est à mon avis un minimum à viser.








La forme.


L'accessoire d'infusion choisi devra, en plus d'être suffisamment volumineux, posséder une forme adéquate : assez plate pour les baozhong, ronde pour les gao chan sha. Dans tous les cas, une théière ronde servira bien aux deux thés.








La température.



Le fait que ces thés soient verts peut induire en erreur. Bien qu'on puisse utiliser une eau à une température proche de 80°C sans souci, il est important de veiller à ce que les feuilles soient préalablement bien ouvertes. Pour cela, une seule solution : l'eau bouillante.

Si on pratique le rinçage avant de passer à la première infusion, on veillera à utiliser une eau bouillante et à utiliser un minimum de force à la première verse pour imprimer un mouvement aux billes qui aidera à leur ouverture. Si on ne rince pas, on fera la première infusion directement avec de l'eau bouillante. C'est ce que je conseille afin d'ouvrir au mieux les feuilles. Dans tous les cas, il faudra veiller à bien préchauffer son matériel pour ne pas perdre trop en température.

Cette ouverture des feuilles est très importante. Une fois celle-ci réalisée, on pourra éventuellement baisser un peu la température des infusions suivantes, et l'eau devra être versée si possible délicatement sur les parois et non directement sur les feuilles. Personnellement, je verse mon eau bouillante dans mon pichet (chahai) et la verse ensuite dans ma théière ou dans mon zhong. Cette baisse de température permettra d'atténuer la force de certains tanins au profit d'autres choses. C'est un choix personnel qui demande d'essayer par soi-même.








Voici donc les règles que la pratique - inspirée de pas mal de lectures et de conseils - m'ont fait retenir. Et notamment ces deux points : une bonne ouverture des feuilles, et un volume suffisant.

En ce qui me concerne, j'ai deux outils principaux pour infuser mes gao shan cha : un zhong de 15cl et une théière Watanbe Tozo de 17cl de forme ronde. Pour les baozhong, j'utilise un autre zhong aux formes plus évasée et une Tozo plate.








Cet article est parsemé de quelques photos de la dégustation d'un Bi Lu Shi cueilli le 5 septembre 2010 et offert par Stéphane à l'occasion de la commande du set que vous pouvez voir. Du bon matériel pour un thé excellent !








À bientôt !



mercredi 8 septembre 2010

Série Wulong (2) : dosage max








Si le sujet vous intéresse, je vous suggère de lire les réflexions de Thomas sur son blog, le Jardin de Thé, qui a longuement étudié les différentes méthodes d'infusion, l'influence des temps et des dosages. Une aide fantastique pour tout amateur en quête d'expériences.


Éternel débat, le dosage... Mince, version yin... Tout à l'inverse, la théière quasi pleine de feuilles... Plusieurs écoles pour des rendus très différents. C'est en lisant les recommandations d'infusion sur le site de toki, the Mandarin's Tea Room, à l'heure où je m'intéresse à sa sélection, que je me suis dit qu'il fallait peut-être remettre en cause ou du moins porter une œil critique sur les dosages que je pratique dans la plupart des cas. Sa vision du dosage est reprise dans son blog, dans cet article par exemple. Ici on est dans une autre catégorie que ce qu'on côtoie en général, mais la philosophie qui se trouve derrière se tient, en plus d'être souvent pratiquée en Chine. J'ai trouvé intéressant d'essayer.

Cela a été pour moi l'occasion de tester certaines règles et limites, expériences toujours intéressantes. Je vais dans cet article rester assez général rappelant certains principes. Selon moi chaque thé est différent et on ne peut pas vraiment dire que tel type d'infusion est meilleur qu'un autre. Même deux thés du même nom mais de provenances différentes pourront appeler des méthodes sensiblement distinctes en fonction des goûts du dégustateur.

Ce dont je vais parler concerne essentiellement les wulongs, à la seule exception des wulongs frais, qui selon moi sont assez différents au niveau du traitement, du moins je n'ai jamais apprécié des dosages très généreux avec ces thés. Mais beaucoup de principes peuvent être élargis à d'autres familles de thé.





Commençons par quelques principes de base, tirés de mes diverses expériences et lectures.


Dosage / Temps :


Qui dit dosage dit temps d'infusion. Ces deux notions sont intimement liées, mais pas de façon linéaire. En effet, on n'obtiendra pas la même liqueur en dosant peu et en infusant longtemps qu'avec un dosage plus fort et une infusion plus courte. Avec le temps et la température, les substances aromatiques contenues dans les feuilles se dégageront de différentes manières.





Dosage faible : infusions "Yin"


Seuls les thés de bonne qualité supporteront qu'on baisse drastiquement le dosage pour des infusions allongées. Le résultat sera plus en subtilité et un mauvais thé ne pourra faire illusion, un peu comme avec l'emploi d'un zhong alors que la théière est parfois plus clémente.





Débutant et progression :


De manière générale, quand on débute dans le monde du thé, on dose léger, puis on augmente petit à petit. C'est en tout cas une tendance qu'on peut rencontrer - et un bon conseil selon moi pour la plupart des thés. J'avoue être pour le moment assez en phase avec cette affirmation, augmentant progressivement les doses, peut-être pour baisser plus tard.

Je me l'explique par le fait que le palais s'habitue petit à petit à ce qu'on classe peut-être un peu trop rapidement au départ sous l'étiquette d'amertume, disons une plus grande concentration de la liqueur, plus de relief. Quand je fais déguster un thé à des amis, je fais en général attention à ne pas le faire trop fort, moins que ce que j'aurais fait pour moi tout seul. Ce n'est pas toujours facile. Et malgré cela, je peux souvent lire sur leurs visages qu'ils trouvent cela amer alors que pour moi le thé n'est pas assez expressif. La conséquence est bien souvent la demande de sucre...

Avec le temps, on y est moins sensible, on discerne mieux. On en vient même à rechercher une certaine amertume pour gagner en longueur en bouche notamment. On apprend avec certains thés comme les très torréfiés ou les dan cong que l'important n'est pas forcément dans l'immédiat de la boisson, ie ce qu'on a en bouche, mais dans la longueur et l'évolution qui peut durer plusieurs minutes. Est-ce que pour autant cela demande des dosages forts ? Je ne pense pas. Mais c'est peut-être plus facile à discerner de cette façon tant que le palais n'est pas plus précis à l'analyse, ce qui demande du temps, je commence tout juste à m'en rendre compte.





"Doser fort coûte cher !"


Peut-être, mais j'ai toujours trouvé ça rentable. Déjà, plus on dose, plus on a d'infusions. Cela parait évident mais rappelons-le néanmoins. Si on n'a que peu de temps à consacrer à une dégustation, mieux vaut doser léger.

Si on prend par exemple un Wuyi Yan Cha, thé de rochers, la différence est pour moi assez flagrante. Dosez léger, genre 3-4g pour 10cl, et vous aurez trois belles infusions et vous en viendrez rapidement aux infusions longues et à la fin du gong fu cha, surtout en zhong car la perte de chaleur sur les infusions longues se fera ressentir sur l'extraction. Mettez à peine le double, 6-7g, et là vous n'allez pas compter tellement vous allez faire de tasses, beaucoup plus du double que dans l'exemple précédent. Tout cela pour un rendu différent, bien entendu. J'en dirais plus un jour dans un article dédié à cette famille (mais la chose est complexe et j'aimerais mieux les maitriser avant d'en parler plus.)








L'ivresse :


Une chose qui est remarquable quand on dose très fortement, c'est l'effet qu'a le thé sur son organisme. On peut devenir rapidement "teadrunk." Les effets se rapprochent de l'ivresse : perte de concentration, décontraction ou parfois l'inverse, sentiment d'être speed. C'est assez marrant à ressentir.

Je me souviens d'une discussion amusante à ce sujet avec Tim de Postcardteas, suite à la dégustation d'un vieux sheng vraiment très bon (stockage sec) qu'il nous avait offert et qui provoquait chez moi quelques suées. Ce genre de thé a quelques fois des effets similaires à ceux provoqués par un gros dosage sur un wulong. Il m'a dit un jour avoir du courir assez longtemps après un bus alors qu'il y était dans un état "d'ivresse" similaire. Un peu plus tard, quand il l'eut enfin rattrapé, il s'était aperçu qu'il était à peine essoufflé.





Les limites supérieures au dosage : taille du récipient


Il y a des limites aux dosages généreux. La première est la taille de l'instrument. C'est facile de s'en apercevoir avec un zhong : quand ce dernier déborde au bout de quelques infusions, c'est qu'on y a été trop fort. Un zhong juste bien bombé de feuilles pas trop tassées est quelque chose d'assez agréable à regarder je trouve. Moins rempli, c'est visuellement assez disgracieux. Trouver le bon dosage pour parvenir à un bon remplissage demande une bonne connaissance de chaque thé. Est-ce le but ? Je ne pense pas. Mais c'est un de mes petits plaisirs en tout cas.

Tout cela est plus délicat avec une théière. Trop de feuilles et celles-ci s'ouvrent mal et les arômes restent prisonniers. Il en va de même pour une théière dont la forme serait mal adaptée, comme par exemple une théière plate pour des oolongs roulés. Il convient de bien examiner les feuilles à la fin d'un gong fu cha pour vérifier leur bonne ouverture.





Les limites supérieures au dosage : temps minimum d'infusion


La seconde limite est le temps d'infusion. Trop doser demande un temps d'infusion très court pour les premières verses, trop court car même en faisant vite, on se retrouve facilement avec des infusions trop chargées, trop confuses où les arômes se mélangent de façon chaotique. Il convient donc d'être raisonnable pour ne pas perdre les premières infusions. Attention en particulier aux théières avec une verse très lente.

Il y a souvent débat sur le temps minimum d'infusion. Là s'opposent vraiment deux écoles : celle qui consiste à dire qu'il faut un minimum de temps pour que les feuilles délivrent leurs arômes afin qu'ils soient tous présents dans la tasse, et celle qui dit que si on met une quantité forte, tous les arômes sortiront mais les uns après les autres, au fil des infusions.

L'idée que certaines feuilles par exemple plus épaisses demandent plus de temps pour dégorger leurs arômes me semble logique. Mais l'idée qu'à force de les infuser, elles finiront tôt ou tard à se retrouver dans la tasse ne le semble pas moins.

A ce niveau là, c'est à chacun de faire des essais et de choisir son parti, chaque thé pouvant appeler une méthode différente. Personnellement, ce débat est encore un peu trop "haut niveau" pour moi.

Toujours est-il qu'on peut selon moi augmenter le dosage jusqu'aux limites de ces règles.





Alors, comment doit-on doser ?

Comme on veut bien évidemment. Comme toujours, on fera en fonction de ses goûts. Mais même si faire des compromis est bien, je pense que d'essayer la méthode hard et côtoyer les extrêmes sera presque toujours une expérience positive. Attention, je rappelle qu'on parle ici de wulong moyennement à fortement torréfiés. N'essayez pas 10g de puerh sheng de 2010 dans un zhong de 10cl ou alors prévoyez l'extincteur !

Typiquement, un thé qui ne vous enchante pas des masses pourra être le cobaye idéal à un dosage de barbare, ou un fond de paquet que vous ne voulez pas diviser. J'ai récemment acheté un Wuyi Yan Cha à la maison des 3 thés, pourtant assez cher, qui ne m'a vraiment pas emballé (comme quoi tout arrive.) J'ai tout essayé : zhong, théières, dosage faible/temps longs, dosage important/temps courts, rien n'y fait. J'ai finalement essayé la méthode barbare : 10g/12cl dans ma Yixing Yu Zhu. Même si ça n'a pas fait des miracles, ça a donné de loin le meilleur résultat.

Je pense que les thés de rochers s'en tirent bien ainsi, mais attention à ne pas en faire une règle générale non plus, car certains passent mieux en dosant plus légèrement. Toujours est-il que je n'ai que rarement regretté un dosage "osé" sur cette famille et il est à présent rare que je passe sous la barre des 1/2 en ratio masse de feuilles/volume disponible. Et je suis plus facilement largement au dessus. À noter que je trouve que de gros dosages passent mieux en théière qu'en zhong, une bonne terre permettant sûrement d'organiser les saveurs.

Je suis trop jeune encore avec les Dan Congs pour en parler sereinement, mais jusqu'à présent, mes infusions avec un dosage généreux pour un temps assez court ont toujours été mes préférées par rapport à l'usage un dosage plus faible et des temps rallongés.

Dernière observation : plus la torréfaction est importante, plus pousser le dosage semble bénéfique. Je précise que je parle bien de torréfaction et non d'oxydation.





Voici donc pour cette article, plus une réflexion sur des observations et des lectures que de véritables conseils. Aller côtoyer les extrêmes permet de découvrir autre chose, une texture, un relief, des notes nouvelles. Qu'on les aime ou non, on apprend à mieux écouter son thé et on tire des conclusions, on a moins peur des limites par la suite. On progresse. Mais cela demande tout de même une certaine tolérance et habitude avec les liqueurs concentrées.


Pour finir, je dirais un mot sur l'autre approche : les dosages plus faibles alliés à des temps longs. Je commence juste à les expérimenter. J'en parlerai sûrement bientôt. Il y a à mon avis de belles choses à exploiter ainsi, peut-être plus qu'avec des dosages forts, surtout quand on a la chance d'avoir du thé de qualité sous la main. Mais cela nécessite une technique plus précise, donc pas mal de pratique. Encore une fois, je vous renvoie au blog de Thomas.








N'hésitez pas à partager ici vos expériences. À bientôt.


PS : encore de la poterie japonaise en illustration de cet article, et plus spécialement une tasse signée Yoshiko Yamane. Cette femme, héritière de deux "générations" de céramistes vient de la préfecture de Tottori, région de mon ami Hidehisa de Magokorodo. La désignation complète de cette pièce est : Kazuwa-yaki Shinsha-yû Guinomi Sake cup. Sa couleur rouge provient de l'emploi de cuivre à la cuisson. Cette technique est réputée difficile et la moitié des pièces produites sont ensuite détruites faute d'obtenir le résultat escompté. Malgré l'aspect très brillant de cette tasse, on peut voir de larges fissures à l'intérieur qui pour moi ajoutent beaucoup à l'esthétique de la pièce. J'aime l'utiliser pour les dong ding. Leur couleur jaune-vert se marie bien avec, comme j'ai essayé de la montrer ici.