En ce début de saison, j'avoue ne pas m'être précipité sur les thés verts japonais nouveaux (
shincha) comme certains collègues et néanmoins amis... J'ai profité d'une proposition relayée par Sébastien pour goûter aux thés verts chinois de la sélection de
Charlotte.
Mon but ici n'est pas de parler de ces thés en particulier,
Sébastien le fait déjà avec brio (
avec qui ?), avec la simplicité et la sincérité qu'on lui connait. J'ai envie de vous parler des changements que m'a suscités cette nouvelle rencontre, des réflexions que j'ai eues à ce sujet.
Une nouvelle sélection de thés, un nouveau vendeur, je ne cacherais pas que ça faisait longtemps. Je retire un certain plaisir à suivre la sélection de très peu de vendeurs, voir leurs évolutions. Car à suivre la sélection entière d'une personne, on commence à connaitre sa vision des choses, ses goûts. Mais pas uniquement. Ayant la chance de connaitre bien la plupart de mes fournisseurs, certains que je suis même fier d'appeler amis, c'est toute leur personnalité, leur coeur, qui se dévoilent dans le choix qu'il/elle propose.
Il y a les critères de qualité qui, bien qu'étant quantifiables, restent personnels. Mais aussi les choix qu'il y a derrière : celui par exemple de proposer un thé peut-être un peu moins bon, mais produit avec une démarche noble : agriculture biologique ou "naturelle", respect de la tradition, des petites exploitations, bonne démarche écologique, etc. David Collen me disait par exemple l'autre jour que ses galettes 2013 étaient acheminées par bateau plutôt que par avion, pour gagner quelques deniers certes, que les galettes aient un peu plus de temps pour se remettre du pressage, mais aussi pour que l'emprunte écologique du thé soit tout simplement moindre. Libre à chacun d'acheter les thés qu'il veut, bien entendu, mais moi je préfère ces galettes qui sont issues d'une passion sincère, et du soucis du détail.
Il est intéressant de voir comment les vendeurs sélectionnent leurs feuilles. Bien entendu, je ne parle ici que de ceux qui vont sur place, qui rencontrent les producteurs et les théiers. Akira me disait que pour lui, un déplacement en Chine, à Taiwan ou ailleurs pour sélectionner du thé était un moment très important (ce qui se comprend) et sa préparation était de fait méticuleuse. Quand on a des heures d'avions à faire, donc un décalage horaire, de la fatigue, il faut néanmoins être au top pour discerner le bon grain de l'ivraie. Certains producteurs, me confiait-il, testent les potentiels acheteurs. Ils ne vendront pas leur meilleur thé au premier venu. Il ne faut donc pas se tromper. Et c'est plus facile à dire qu'à faire quand on est fatigué, qu'on a mangé un truc indigène juste avant, qu'on souffre du climat ou de l'air conditionné...
Il est intéressant de voir comment cette année il change quelque peu ses critères. Ne recherchant auparavant que ce qu'il nomme "aftertaste", soit pour lui les effets de gorge (Hui Gan), il essaie de combiner à présent le corps du thé, sans oublier le premier bien évidemment. Il est marrant de réaliser avec le recul que le lien d'amitié que j'ai avec Akira a pour origine cet aftertaste. C'est ce trait des thés qui m'a toujours attiré, fasciné, et qui est à l'origine de mon goût pour la sélection d'Akira, puis du dialogue qui s'est mis en place entre nous, puis de notre rencontre, etc. Comme quoi, la sélection d'un vendeur, ça parle à certains plus qu'à d'autres. Il me disait que parmi les centaines de personnes qu'il avait vu défiler dans sa boutique, un bon tiers était insensible à ses propres critères de sélection. On n'y peut rien. On n'a pas tous les mêmes sensibilités, et il n'y en a pas a priori de meilleures que d'autres.
Tout cela pour dire que l'approche très scientifique et empirique d'Akira se retrouve dans ses thés, dans l'homogénéité de sa sélection, qui couvre toutes les familles de thés et qui croît d'année en année (mais comment fait-il ?). Mais j'aurais pu en dire autant d'autres vendeurs. Quand on connait les personnes, ça saute aux yeux. Le lien entre la sélection et la personnalité du vendeur est entier. Ça ne veut pas dire que quelqu'un de malhonnête ne pourra pas vendre du bon thé, malheureusement. Mais ce n'est pas le sujet.
Charlotte me confiait qu'elle était très concentrée quand elle sélectionnait son thé, et qu'outre ses références personnelles et ses propres critères, son coeur jouait un rôle fondamental. Et bien, je pense que ça se retrouve dans ses thés. Ce n'est pas en les disséquant que je pense l'avoir compris. Mais c'est aussi en essayant de comprendre
sa vision. Alors, le thé m'est apparu autrement. Une nouvelle perception, une nouvelle compréhension, peut-être aussi de la personne qui les a choisis. (Je ne parle pas des personnes qui fabriquent les thés ici, car ce n'est pas le sujet, mais il est bien évident que leur mérite est entier).
En l'occurrence j'ai appris avec ces thés à être plus relax quant au mode de préparation, d'être plus contemplatif, de prendre plus mon temps. Et surtout de ne pas chercher les choses que je cherche presque machinalement dans des thés venant d'autres vendeurs, que je connais. J'avoue avoir été circonspect, si ce n'est déçu lors de mes premières dégustations, car justement je ne faisais pas l'effort de m'extraire de mon petit confort, des thés que je connais. Être plus intuitif, fort du peu d'expérience que j'ai derrière moi. Une bonne leçon. Car je ne crois pas non plus aux interventions divines et à la science infuse. L'intuition vient aussi des expériences passées, des échecs et des réussites.
Je ne dis pas qu'il faut adopter la vision du vendeur pour apprécier ses thés. Juste que c'est certainement mieux pour le comprendre, ce que je trouve très intéressant personnellement. Par exemple, je m'intéresse depuis quelques mois à la sélection d'Eugène de
Tea Urchin. De prime abord, on se dit : "tiens, encore un nouveau vendeur de puerh, pourquoi s'embêter ? combien de chances y a-t-il qu'il soit sérieux, que ses thés soient bons et en accord avec le prix ?" Puis, je me suis mis à lire son blog. Là, on voit la démarche du bonhomme, son goût de l'authenticité, son respect pour la tradition et des personnes. On apprend à le connaitre en lisant sa prose. Puis viennent les premiers échanges. Il faut goûter ensuite pas mal de thés pour arriver à percevoir des dénominateurs communs, puis la personnalité du vendeur au travers de sa sélection. Je n'en suis pas encore là avec Eugène, mais j'y travaille. Et ce que je vois me plait beaucoup... Bref.
Il y a toujours quelque chose à apprendre à essayer des thés chez un revendeur sérieux et passionné. On y verra sa vision des choses. D'ailleurs, la plupart de mes revendeurs m'encouragent à le faire. L'expérience d'un buveur de thé se fait en buvant du thé. Collectionner les différentes visions est une voie que j'emprunte pour progresser. Cela demande de pousser un peu, de ne pas butiner sans cesse à droite et à gauche. Certaines voies parlent plus que d'autres. L'amitié et la passion jouent un grand rôle. N'est-ce pas d'ailleurs le plus important ?
À bientôt, ici ou ailleurs.