Voici un chawan réalisé par Ginkgo. Depuis que j'ai découvert son blog où l'on peut, entre autre, admirer son travail, j'ai eu envie de posséder l'une de ses pièces. C'est maintenant chose faite. Et le moindre qu'on puisse dire est que je suis loin d'être déçu. Ce bol interpelle tous les sens et son aspect change quasiment de jour en jour. Je vais vous le présenter ici. Mais d'abord, je vais préciser pour les profanes ce qu'est un chawan.
Un Chawan est un bol conçu pour préparer et déguster le thé traditionnel de la cérémonie du thé japonaise. Ce thé, le maccha, se présente sous forme de poudre qu'on mélange à de l'eau chaude avant de battre le tout avec un fouet de bambou (chasen.) Il convient donc d'avoir un bol assez large, pas trop effilé de manière à permettre une bonne préparation. Voici un article en anglais qui en parle justement.
Sen no Rikyu, qui codifia la cérémonie du thé quasiment telle qu'elle est connue à ce jour, réfléchit beaucoup aux outils simples mais élégants qui devraient être employés. Les bols qu'il préférait étaient ceux nommés Raku, un des principaux potiers de ce style se nommait Chojiro. On peut voir certains de ces bols au musée de cette école à Kyoto. Il est amusant de voir le public se pencher au plus près des vitrines, mimant de leurs mains la prise des bols, pour évaluer leur toucher. Deux autres styles très connus sont ceux de Hagi ou de Karatsu. "D'abord Raku, Hagi en second, Karatsu en troisième" dit un vieil adage nippon.
Voici une petite vidéo montrant une jolie brochette de chawan. On peut y avoir à quel point la beauté réside dans l'imperfection et l'asymétrie. Il s'agit de la collection et a priori également d'œuvres d'un céramiste tchèque nommé Jirka Duchek. Il y a d'abord des chawan puis des yunomi (tasses).
Pour comprendre pourquoi les japonais sont friants de ces formes imparfaites, il faut se dire que là-bas, symétrie n'est pas synonyme de perfection, que le blanc ne renvoie pas à la pureté ni à la propreté, que la finesse n'implique aucune élégance. En Europe, si on essayait de dessiner un bol "parfait", une tendance serait de prendre une forme géométrique standard, de travailler des courbes dans un souci de symétrie et de parallélisme. Pas au Japon, ni en Corée d'ailleurs d'où vient le style de Hagi.
Au niveau de la création de ces objets, il est fréquent de lire que beaucoup des pièces fabriquées sont détruites, car le "hasard" a son rôle à jouer dans la cuisson notamment. Bien évidemment, ce "hasard" est quelque chose que l'expérience doit aider à maitriser. Mais par exemple une artiste que j'aime particulièrement nommée Yamane Yoshiko, qui pratique le style Kazuwa-yaki, et qui fera l'objet d'un prochain article, détruit environ 50% de ses créations, le résultat ne lui convenant pas. Peut-être est-elle extrêmement perfectionniste ?
Cet aspect "aléatoire" a un avantage incroyable : chaque bol est unique et continuera d'affirmer son unicité pendant son évolution. Car il ne s'agit pas de porcelaine ici, mais d'émaux et autre matériaux poreux. Chaque session de thé, ou autre pour un verre à sake par exemple (guinomi), laissera sa trace et influencera l'avenir de son esthétisme. Surlignage des fissures, apparitions de taches, sont des signes habituels. Pour les céramiques de Hagi, un des grands styles d'objets de thé nippon, ce phénomène se nomme "Hagi no Nana Bake" littéralement les 7 changements d'Hagi.
Revenons un peu à ce chawan de Ginkgo. Déjà, je dois dire qu'il m'a fallu une petite éternité pour me décider entre deux modèles. J'ai été rassuré une fois le choix fait : pas de regret : c'était le bon choix.
Il est constitué d'une superposition de deux émaux. Le premier est brun et fait à partir de terre volcanique, le second, celui du dessus, est un émail shino. La cuisson s'est opéré à 1280°C, en oxydation.
Il est constitué d'une superposition de deux émaux. Le premier est brun et fait à partir de terre volcanique, le second, celui du dessus, est un émail shino. La cuisson s'est opéré à 1280°C, en oxydation.
J'adore ce bol car il a quelque chose d'organique, et si je poussais un peu, je dirais qu'on le croirait sorti d'un film de Cronenberg. L'émail est comme lacéré, laissant entrevoir la couche brune/rouge profonde du dessous. Sur l'extérieur, on peut voir des excroissances verdâtres tout à fait originales. Il faut le voir pour bien l'apprécier, car malgré les efforts pour la photographie, rien ne remplacera la prise en main d'une telle pièce, les sensations de froid et de lisse de la texture extérieure, avec toutes ses aspérités. Certains détails sont difficiles à deviner par des seuls clichés, car par transparence, des couleurs, du rose, du rouge plus profond, du vert apparaissent.
Autre chose importante, les sensations du contact lèvres-bol. C'est quelque chose que les utilisateurs de la seule céramique ne peuvent comprendre à mon avis, et pourtant cela jouera un rôle très important dans la dégustation et influencera copieusement le résultat gustatif. Ici, c'est froid, un peu rugueux par endroit, poreux, très agréable.
Bref, la vue et le toucher sont à tout point interpellés par ce bol. Les détails ne manquent pas et occupent beaucoup l'œil. Et ce chawan évolue très rapidement. De tout petits pores retiennent le thé, agrémentant l'intérieur de mini tâches vertes. Au début j'ai essayé de les enlever, puis j'ai décidé de laisser ce bol tranquille, évoluer à sa guise. Je ne vous montre pas pour le moment les premières évolutions qui pourtant sont assez visibles. Mais ça viendra bien assez vite, ne vous inquiétez pas.
Une chose assez incroyable pour finir : ce bol fait du bruit quand on verse de l'eau chaude à l'intérieur. De micro bulles d'air emprisonnées dans les multiples pores et autres fissures se dégagent, comme si on y avait lâché un cachet effervescent. Douce musique. Encore un sens mobilisés.
Le reste est en images tout au long de cet article...
À bientôt !
Prochain article : Song Zhong de Hojo's Tea (dan cong)