dimanche 24 février 2013

La Main de l'Homme

Akira a pas mal insisté cette année dans ses articles, et sur un réseau social bien connu, sur l'influence de la main de l'homme sur le produit final. Il l'explique grâce à la chimie de la plante, fort de son expérience d'ingénieur agronome. C'est un point de vue assez unique dans le monde du thé, très intéressant à mes yeux. Il ne parlera pas d'effet sur le cholestérol, mais de concentration en matières minérales au sein des feuilles que nous buvons et son influence sur la qualité. Encore une fois, tout ceci pourra être extrapolé aux fruits et légumes que nous consommons.


L'emploi de pesticides, d'engrais, qu'ils soient bio ou non, la taille des arbres (du verbe tailler), vont avoir une influence sur la productivité. C'est leur but après tout. Plus de feuilles, généralement plus grosses, plus vertes, aux allures plus grasses, peut-êtres plus appétissantes au premier abord. Mais sont elles meilleures une fois infusées ?




Les photos de cet article sont empruntées à la collection d'Akira avec son aimable autorisation.




Ci-dessus une feuille ayant reçu une bonne dose d'engrais. Elle a utilisé cette énergie supplémentaire pour grossir, comme une personne à qui on donne une quantité supplémentaire de nourriture, comme un cochon qu'on engraisse, une oie qu'on gave.

Par contre, soumise à des conditions plus rudes, moins "fast", la plante va passer en mode survie. L'énergie, plus rare, ne sera pas utilisée pour grandir, mais conservée pour se protéger (du froid dû à l'altitude par exemple) et sera accumulée sous forme de matières minérales dans les feuilles.

L'emploi d'engrais va donc augmenter le nombre et la taille des feuilles, mais ces dernières ne seront pas plus riches en matières minérales, au contraire. La petite feuille qui aura lutté pour survivre, elle, en sera gorgée. Et, d'après Akira, ce sont ces matières minérales qui seront importantes pour le dégustateur.








Voici des exemples de plantations qui n'ont reçu ni engrais ni pesticide. Beaucoup moins de feuilles, mais gorgées de polyphénols, beaucoup plus qu'une grosse feuille bien grasse. Leur couleur est plus claire, tirant sur le jaune.









Voici pour l'emploi d'engrais. Et cela ne fait pas de différence s'il est bio ou non. La plante aura plus d'énergie de toute façon, elle ne souffrira pas assez pour produire des feuilles concentrées en polyphénols. Voici un exemple de théier élevé avec de l'engrais bio :








Outre les engrais, la taille (élagage) des arbres jouera un grand rôle. Voici un arbre qui a été taillé :








Un an après sa taille, ce théier est recouvert de feuilles. Très bon pour la productivité ! Mais Akira décrit le goût de ce thé comme plat, sans goût ni parfums remarquables.




Est-ce que ce genre de chose est bon pour une plante à consommer ? 
Pour votre rosier dans le jardin, ok, mais là...




Autre chose qui doit être respectée : l'écosystème des sols, le terroir. La terre doit vivre. Exit donc les désherbants (même bio) et les pesticides. C'est dans un écosystème équilibré que les arbres donneront les meilleurs fruits et les théiers les meilleures feuilles. C'est un principe qu'on retrouve de plus en plus dans le vin également.








Nous voici dans le Lin Cang. C'est beau, non ? Et ça, c'est pas mal non plus ? (photo prise à Kasuga, jardin du Kasuga Zairai Sencha).








Je me souviens, il y a un an (déjà...), chercher dans les plantations en Malaisie l'insecte responsable de l'oxydation de l'Oriental Beauty, à parcourir des dizaines de mètres sans parvenir à repérer le moindre insecte, à secouer des branches sans voir un seul moucheron s'envoler... Honnêtement, ça fait peur...








Ci-dessus le tableau presque parfait selon Akira, ce qu'il recherche. Pourtant, ici, il manque quelque chose... la végétation au pied des théiers a été enlevée, brisant légèrement l'écosystème du milieu.


***


Alors, je NE cherche PAS à faire l'apologie totale de la sélection d'Akira, car il n'est pas le seul à accorder une énorme importance à la culture des théiers, au retour à une agriculture raisonnée, plus traditionnelle, qui se focalise sur la qualité et non sur la quantité (je pense à Postcard Teas, Essence of Tea...)

Je suis plutôt en train de faire l'apologie de la nature : si on la laisse faire, qu'on ne cherche pas à augmenter la productivité, soit en ajoutant des engrais, en taillant, ou en évitant de perdre des feuilles à cause des insectes, elle vous le rendra au point de vue de la qualité !

La même chose s'applique partout et pour tout. Pourquoi la confiture de la grand-mère est-elle meilleure que celle du supermarché ? Pourquoi la gnôle d'antan était meilleure que celle que l'on trouve à présent dans le commerce ? Pourquoi le poulet de la petite ferme d'à côté est meilleur que ceux élevés en batterie ? Pourquoi le vin produit en biodynamie est-il meilleur que celui trafiqué par Michel Rolland pour ressembler à un vin qui plait à Parker ? L'homme veut vendre, s'enrichir, si ce n'est pas sur le dos des autres, c'est sur celui de la nature. Mais la qualité se perd en chemin. Et le monde du thé est plein de personnes sans scrupules, ou qui font confiance au marché chinois qui obéit à ses propres règles de commerce, différentes des nôtres.



Pour finir, voici une lecture que certains trouveront peut-être intéressante. C'est un livre japonais, traduit en anglais et distribué gratuitement par Yoko Ono. Vous le trouverez ici. Il raconte l'histoire d'un homme qui laisse son verger "à l'abandon", laisse la nature y reprendre ses droits et qui finit par produire les meilleures pommes du monde, celles que les meilleurs chefs s'arrachent. Une belle histoire.


À bientôt !

9 commentaires:

  1. Article très intéressant et très instructif sur les modes de culture favorisants les qualités gustatives des thés. Je reste toutefois très prudent avec les apologies de la nature.
    Une culture de thé est avant tout une « culture », la préparation des feuilles est un art de technicité, l’infusion, un procédé sophistiqué. Nous n’en sommes pas à grimper aux arbres pour boulotter des poignées de feuilles de théier.
    Pourtant je partage parfaitement ton point de vue et je suis presque ému devant les sublimes photos de plantations raisonnées.
    Je défendrais plutôt l’idée d’une culture attentive aux phénomènes naturels. Une intervention de l’homme qui sait où agir et où laisser les phénomènes naturels prendre le relais. A la manière des jardins chinois et japonais, il ne s’agit peut être pas de laisser faire la nature mais de la comprendre et de l’accompagner.

    En tout cas je suis à fond pour ce type de démarche responsable et intelligente. Bravo et merci.

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    1. Effectivement, une réponse très intelligente, car si la main de l'homme peut comme ici être responsable d'une diminution de la qualité du produit, c'est aussi elle qui saura le sublimer via toute une série d'étapes demandant un savoir-faire précis et qui ne s'improvise pas.

      Pour reprendre une analogie avec le vin, les meilleurs vignerons arriveront à produire de superbes millésimes et ce quelque soient les conditions météo qu'ont connu les vignes durant l'année. Il en va de même pour les théiers, cela va de soi.

      En ce qui concerne les jardins japonais (je connais très peu les chinois, mais je les imagine du même style), cela va au-delà du simple accompagnement, mais le résultat est bel et bien là et souvent magnifique.

      Merci à toi.

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  2. Merci pour cet article, il nous rappelle que le thé est un produit de la Nature et que nous devons la respecter pour ce service qu'elle nous rend. Je pense qu'il n'y a pas une unique facon de gérer les plantations, la diversité fait la richesse, et dans le Yunnan, les champs de thés ont mille et unes facettes. Aucun jardin n'est vraiment sauvage, aucun n'est totalement dompté, chaque récolte est le produit d'une collaboration entre l'Homme et la Nature.

    Le monde du thé chinois semble avoir compris l'importance d'une agriculture raisonnée, et je suis optimiste quant au futur des plantations du Yunnan, la Chine est une machine qui a beaucoup d'inertie mais qui est ouverte au changement malgré ce qu'on pourrait croire.

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    1. Merci à toi William. Akira est un peu "extrême" dans son approche (il est aussi fils d'agriculteur), essayant de s'approvisionner via des fermiers qui pratiquent le "natural farming" autant que possible, sautant la case "bio" s'il le peut. Et il préfère les produits qui sont le plus sauvages possibles, même si, comme tu le précises justement, ce n'est jamais 100% sauvage. Mais prendre l'exemple "extrême" me permet ici de souligner mon propos.

      Tes articles me rendent optimistes sur les efforts faits : "Decisions made today might have an impact for decades". C'est on ne peut plus vrai. Je bois en ce moment un sencha dont le producteur a arrêté les pesticides il y a 42 ans, et c'est un régal. J'espère que beaucoup d'agriculteurs de par le monde prendront la même décision aujourd'hui...

      Au plaisir de te lire.

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  3. Je suis impressionnée par tout ce que je viens de lire, ton texte David et les commentaires: j'y sens la passion de l'authentique, de l'harmonie entre la nature et des hommes qui la respectent. Cela fait du bien, il y a encore des hommes qui essaient de comprendre celle qui était là avant nous et qui, je l'espère, nous survivra.

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  4. Je suis assez surprise par ces photos, celles des theiers sans engrais etc. car, la plupart du temps, nous apercevons de biens jolies images où la feuille, quoique plus petite tout de même, éclate de vert. Mais alors comment savoir ? Comment savoir, en achetant un thé dans une maison, quelconque, si le producteur a utilisé, un peu voire beucoup (trop) d'engrais ? Bien sûr notre lanterne est éclairée par tes articles seulement tout le monde n'est peut être pas aussi curieux que tes lecteurs !

    En tout cas merci pour cet article qui a le mérite d'aborder des sujets "de fond" !

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    1. Merci Pauline. Bonne question. On n'est pas obligé non plus de vouloir absolument du 100% sans engrais/sans pesticide/etc dans sa tasse. Un thé sans pesticide est pour moi une obligation, mais aller plus loin c'est faire une croix sur une belle quantité de joyaux.

      La solution est comme toujours de choisir de bons revendeurs, des personnes engagées dans une démarche sérieuse, qui vont sur le terrain et s'y connaissent assez pour ne pas se faire avoir. Quand on cherche bien, on se rend compte que ces vendeurs existent. Ils sont certes en minorité, mais il y en a suffisamment pour avoir de quoi déguster pendant de nombreuses années.

      Mais c'est sur qu'il vaut mieux ne pas se fier juste au discours d'un vendeur, même avec un préfixe de "Maître" devant. Il faut a priori se dire qu'un thé qui se dit "bio" a des chances de ne pas l'être.

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