jeudi 6 septembre 2012

Hohin et Eau chaude






Je me suis rendu compte que je cherchais toujours à baisser la température d'infusion de mes thés japonais, comme si c'était la direction à prendre. Peut-être à cause du gyokuro ? Toujours est-il que c'est peut-être une erreur, et que d'aller voir de l'autre côté du spectre n'est pas une si mauvaise idée que ça. D'ailleurs, j'ai appris récemment qu'il y a un demi siècle, les japonais utilisaient de l'eau bouillante sortie de leur tetsubin pour infuser leurs thés.


***


Aujourd'hui, j'ai préparé le sencha Uji Jubuzan de l'article précédent avec une technique un peu particulière. En fait, j'ai reçu un message me conseillant d'infuser ce thé à 90°C voire même à l'eau bouillante, avec des infusions très rapides. J'ai alors pensé à une technique que m'avait présentée Akira et que j'ai expérimentée par la passé. Aussi, je me suis dit que j'allais profiter de l'occasion pour en parler. En fait, c'est Akira qui va vous la présenter :








En gros, le principe est très simple puisqu'on enlève le chronomètre et le thermomètre. 

Pour ceux qui n'ont pas la chance de parler la langue de Shakespeare, voici en substance comment ça se passe.


1. Le matériel : 

Il s'agit de faire des infusions très rapides, donc mieux vaut s'équiper d'un instrument qui verse vite. Dans la vidéo, c'est un hohin, ce qui semble assez pratique. J'utilise aussi un tel instrument, dans mon cas un Hohin de Bizen (style Hidasuki). Un gaiwan fera très bien l'affaire si les feuilles ne sont pas trop fragmentées, ce qui exclut a priori la plupart des fukamushi sencha.




(sur cette photo, ce n'est pas de l'Uji Jubuzan dans le hohin)




Il faudra également un récipient pour refroidir l'eau, ici un Yusamashi (ou Samashi) de Bizen.








Et une tasse, dans mon cas un yunomi, mon premier d'ailleurs, de Bizen également.








Akira insiste sur la complémentarité des terres des différents instruments, j'en ai déjà parlé dans le cadre de mes articles sur la porcelaine. Dans son cas, il utilise de la terre de Sado rouge. Pour moi, ce sera cet ensemble de Bizen dont les trois pièces viennent du même potier : Shunko-Enn.








2. La technique :

Dans la vidéo, Akira remplit son yusamashi de façon à garder une température à peu près égale à 80°C. On pourra si on veut augmenter la température en fin de session.

À part ça, rien de sorcier. On rince les feuilles au début afin de mieux les préparer à donner le meilleur d'elles-mêmes. Ensuite, on verse l'eau dans le hohin, puis le thé dans la tasse. Comme toujours dans la préparation du thé, il convient de ne pas trop se presser. Ce n'est pas parce qu'on veut faire une infusion "flash" qu'on n'a pas le temps de poser ses instruments délicatement et de faire des gestes appliqués. C'est un coup à ce qu'il y ait de la casse et c'est malheureusement du vécu.





(ici la colorimétrie est volontairement un peu accentuée
pour mettre en évidence les détails de ce magnifique objet...)




Petite précaution : ne pas refermer le couvercle de son hohin (mais aussi théière ou zhong) complètement entre deux infusions pour ne pas que les feuilles cuisent. Ça reste du thé vert.









Il faut noter que cette technique ne marche pas avec tous les thés japonnais de manière identique. Certains spécimens se comportent très bien avec de l'eau très chaude, tandis que d'autres beaucoup moins.

Les thés riches en acides aminés, responsables de l'umami, préféreront en général une température plus basse que les thés riches en polyphénols.

Si Akira propose cette technique, c'est que ses thés ne contiennent justement pas d'umami, pour une raison que j'évoquerai dans quelques temps.




(là c'est bien de l'Uji Jubuzan...)




J'ai donc fait bouillir mon eau, l'ai versée dans mon yusamashi puis immédiatement dans mon hohin. Ce qui me donne une température environ de 90°C.








Sur des thés qui se prêtent bien à ce genre d'infusion, on obtiendra quelque chose de vraiment différent. Les saveurs seront peut-être un peu plus discrètes, et les notes les plus aiguës ressortiront majoritairement. Le principal intérêt sera double : la longueur, je ne sais pour quelle raison sera amplifiée de manière significative, c'est vraiment impressionnant. On garde la sensation en bouche pendant des lustres. Deuxième intérêt : l'aftertaste qui sera particulièrement lisible.

Deux amoureux de l'aftertaste que je connais bien citent tout le temps la même phrase : "les feuilles de thé, le matériel, ne servent qu'à améliorer la qualité de l'eau." Ou encore : "un buveur de thé, c'est avant tout un buveur d'eau." Les liqueurs plus légères en terme de saveurs sont très agréables pour les personnes qui cherchent l'aftertaste car il est plus facile (à remarquer et) à apprécier ainsi. Néanmoins, une personne entraînée parviendra à profiter de cette sensation dans une liqueur très dense, mais ce n'est pas toujours chose facile...








Tout ça pour vous suggérer d'essayer à l'occasion cette technique d'infusion. Je ne vous garantis pas que ça marchera à tous les coups, mais si c'est le cas, ce sera vraiment une expérience intéressante et agréable. Et vous obtiendrez ainsi de très nombreuses infusions.


À bientôt !


9 commentaires:

  1. Bonjour,
    Même riche en umami il peut être très intéressant d'infuser un sencha à l'eau très chaude, comme tu le sais, tout est question de paramètre.
    En effet, avec certains thés on loupe bien des saveurs à faire trop refroidir l'eau.... mais parfois c'est l'inverse.
    Disons seulement qu'il n'est pas toujours facile de recommander des infusions très chaudes, car faire tiédir permet bien souvent de ne pas se tromper. Mais avec un thé de qualité, surtout un futsu/asamushi il peut être payant d'essayer de l'eau entre 80-90°C même sur une première infusion.

    Il y a un demi siècle, les japonais commençaient tout juste à boire du sencha, jusqu'alors réservé à une élite fortunée, et surtout à l'exportation. Habitués au bancha régionaux qui étaient bouillis toute la journée dans un dobin ou autre, l'arrivée dans le foyer d'un thé à préparer dans une théière, sans la moindre explication des vendeurs a troublé. Donc évidemment on versait l'eau directement de la bouilloire. Pourtant, à l'époque d'Edo, le très rare sencha étuvé (le kama-iri étant majoritaire) était déjà préparer avec moult accessoires et l'eau légèrement refroidi. Néanmoins, quand on regarde l'évolution de la forme des théières, on voit que celles qui apparaissent au début de l'époque d'Edo (pas encore de sencha étuvé à l'époque) avaient une poignée située très haut et presque verticale. La conservatrice du musée de Iruma m'a expliqué que l'on pense que cette position permettait d’éviter de se bruler alors que les théières étaient posées sur le feu. Vers le milieu de l'époque d'Edo, la poignée se rapproche de sa forme actuelle.
    Ceci dit, finalement aujourd'hui encore, les mémés japonaises versent de l'eau bouillante directement sur les quelques feuilles et poussière de feuilles d'un fukamushi qui trainent au fond d'une grosse théière, et laissent infuser environ 1 seconde et demie.

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  2. Ce set est tout simplement superbe.Sobre&élégant.Cela donne envie de se mettre aux feuilles japonaises!Pourrais-tu nous en dire plus sur cette argile Bizen?(un lien?)Brute et en même temps si travaillée par le potier...je vais attendre un peu avant de posséder un Yusamashi de ce type d'argile,sinon je vais boire de l'Eau toute la journée!Très instructif et les photos sont hypers"reposantes":on sent comme un calme autour de Toi alors que les feuilles infusées cela doit être de la "furie"& de la tuerie.
    Merci David.

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  3. Ah, le style de Bizen ... quel plaisir pour les yeux cet article !

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  4. Merci à tous les trois. Florent, un grand merci pour tes précisions toujours riches de connaissances. Pas facile ces thés japonais. J'aimerais trouver une logique, des indices données par les feuilles sèches pour savoir de quel côté aller, haute ou basse température. Peut-être y en a-t-il mais que je ne les ai pas encore découverts ? L'avenir le dira.

    Philippe, le style Bizen ne donne pas un résultat très différent d'une bonne terre Banko. On sent l'effet de la terre souple cuite en réduction, son travail en douceur et en profondeur. Akira a essayé ce hohin et ça a été sa réaction en tout cas.

    T'as vu Tsubo, j'ai acheté ce petit yuzamashi chez Hide. J'imagine que tu l'avais repéré. Je ne regrette pas, il est encore plus beau que mon ancien, et je ne croyais pas que ce fut possible.

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  5. Je n'ai jamais obtenu des résultats très intéressants en utilisant ce genre de paramètres personnellement.
    Ce qui me gêne c'est le ratio entre le pôle aromatique (très discret) et la longueur en bouche qui est très importante. Cela me donne une impression de déséquilibre que je n'apprécie pas vraiment.

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  6. Merci de tes impressions. Je comprends tout à fait de quoi tu veux parler. J'ai personnellement l'habitude de ce genre de liqueur légère grâce aux wulong et plus particulièrement aux Dan Cong et, de manière générale, m'intéresse beaucoup moins à ce qui se passe en bouche comparé aux sensations de gorge et à la longueur. Mais je conseille néanmoins d'essayer de temps en temps ne serait ce que pour la surprise de découvrir son thé autrement.

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  7. j'ai essayé ces paramètres aujourd'hui même, avec ce Uji Sencha Jubuzan justement! C'était psychologiquement difficile d'utiliser une eau à 90 ° sur un thé vert jap en plus! mais j'ai réussi à vaincre mes préjugés... et le résultat était étonnamment bon et surprenant! ... en effet formidable longueur en bouche. J'ai eu l'impression aussi de pouvoir tirer plus d'infusions en utilisant cette technique. Le résultat était peut être moins gourmand qu'en utilisant une eau moins chaude pour des temps d'infusions plus longs, mais avec ce type d'infusion j'ai particulièrement apprécié la finale saline et végétale qui restait bien en bouche très longtemps après. Merci pour cette expérience!

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    1. Ce n'est pas moi qu'il faut remercier... Et oui, un résultat différent, mais des fois c'est pas mal justement quand on a acheté 100g de sencha un peu monotone à la longue (ce qui n'est pas le cas de ce thé). Et quelle longueur...

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  8. Faites vous bouillir l'eau avant de la verser dans le samashi ? Je croyais que 100°C n'était recommandé que pour les PU ERH .

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