Parler de ma vision du dosage est quelque chose qui me démange depuis un bon moment mais que je n'ai jamais vraiment réussi à réaliser proprement, si bien que j'en suis venu à me demander si je devais le faire tout court. Plusieurs tentatives ont déjà été faites puis oubliées, le résultat final ne me plaisant pas. Car, autant le dire d’emblée, il n'y a pas de meilleure façon de préparer le thé pour peu qu'il plaise. Le "mieux" est bien trop subjectif.
S'il y avait des dosages meilleurs que d'autres, ça se saurait. Il y aurait un joli tableau bien dessiné disponible un peu partout que l'on respecterait scrupuleusement. Et voilà, le tour serait joué. Point à la ligne. On trouverait pour tous les thés des doses toutes faites, un peu comme le Tie Guan Yin d'ailleurs. Trop facile, non ? Certes pratique mais manquant néanmoins terriblement de charme...
S'il y avait des dosages meilleurs que d'autres, ça se saurait. Il y aurait un joli tableau bien dessiné disponible un peu partout que l'on respecterait scrupuleusement. Et voilà, le tour serait joué. Point à la ligne. On trouverait pour tous les thés des doses toutes faites, un peu comme le Tie Guan Yin d'ailleurs. Trop facile, non ? Certes pratique mais manquant néanmoins terriblement de charme...
Non. Préparer une bonne tasse de thé c'est un peu comme apprendre à jouer d'un instrument. On commence à faire ses gammes, à jouer des rythmes ou mélodies basiques. Après, avec le temps, la persévérance et l'entrainement, on arrivera petit à petit à quelque chose de beau. À la technique pure viendra se mêler le feeling, l'inspiration qui joueront aussi un rôle important.
Donc parler du dosage, oui. Mais je ne me vois pas le faire sans lui conférer une importance relative. C'est un paramètre parmi d'autres qui contribueront au résultat final. Certains de ces paramètres sont ajustables avec des instruments et autres, d'autres non.
La meilleure tasse de thé ne sera pas préparée par des chimistes en blouses blanches dans un laboratoire stérile. Il y a même fort à parier qu'un thé préparé ainsi, malgré un contrôle précis des paramètres, soit assez fade et décevant.
Je dirais qu'il y a trois manières de doser son thé. La manière douce, des fois appelée yin, qui utilise très peu de feuilles par rapport au volume du contenant. Cela ne dépend pas de la taille de l'instrument : deux cuillères à café d'english breakfast dans une théière de porcelaine d'un demi litre, ou 3g de puerh dans une yixing de 12cl, c'est à peu près la même chose de ce point de vue là. On obtiendra un faible nombre de tasses. Chacune d'entre elles offrira une vision presque complète de ce que peuvent offrir les feuilles. Les temps d'infusions seront longs.
Cette méthode, assez prisée sous nos latitudes, offre une infusion souvent qualifiée de sage, ce qui ne veut pas dire mauvaise. Certains thés s'y prêtent d'ailleurs à merveille selon mes propres critères, qui ne valent que ce qu'ils valent.
La seconde est à l'inverse : on remplit zhong et théière presque au maximum. On infuse court. Ennemis des liqueurs chargées, merci de passer votre chemin. Pour ceux qui ont avec le temps su dompter les liqueurs de fortes densités et l'amertume, bienvenue au pays des émotions et parfois même de l'ébriété ! Voici la méthode qu'on appelle souvent Gong Fu Cha, ou yang, très souvent rencontrée en Chine, y compris par les producteurs (qui a priori savent ce qu'ils font).
Infuseur rempli à moitié pour les thés à feuilles roulées et au trois-quart pour les autres (sauf thé compressé) et infusions courtes, mais qui sont légion. Des jours de thé avec les mêmes feuilles. Un autre trip.
Infuseur rempli à moitié pour les thés à feuilles roulées et au trois-quart pour les autres (sauf thé compressé) et infusions courtes, mais qui sont légion. Des jours de thé avec les mêmes feuilles. Un autre trip.
Ici, le thé est découpé en strates gustatives. Chaque infusion aura tendance à être différente de l'autre.
La troisième méthode est très joliment appelée la voie du milieu par Thomas, dont je vous recommande plus que chaudement la lecture des articles dédies aux paramètres, qui m'ont toujours fortement inspirées. Ici pour les dosages plus faibles et temps longs, ici pour l'inverse, et enfin là pour la voie du milieu.
On est dans le compromis, entre l'idée de voir le thé évoluer d'une tasse à l'autre, sans pour autant que la session ne dure trop longtemps. Les tasses sont un peu moins denses que la version Kung Fu, mais sont très riches.
Voilà le choix qui s'offre au dégustateur. La durée de la session, le temps disponible pourra l'aiguiller sur une voie ou l'autre. L'humeur aussi. Aucune n'est dénuée d'intérêt. Une chose est toutefois importante à mes yeux : essayer. Explorer. Côtoyer les limites. Prendre en compte que le palais change, non seulement de manière significative au début de l'aventure gustative d'un amateur, mais fluctue aussi en fonction de l'envie, des saisons, etc. Être à l'écoute et ne pas s'enfermer dans un schéma, ne jamais être trop sur de soi. Celui qui commence à balancer des affirmations dans le monde du thé devra s'attendre à bien des déconvenues...
Dans tous les cas, je conseille de ne pas trop se prendre la tête. Laisser faire le hasard. Si le morceau que vous découpez de votre galette fait 5,2 grammes alors que vous visiez 4 grammes, ne martyrisiez pas les feuilles à essayer d'ôter le surplus. Être pingre, même avec thé cher, ne paie pas forcement dans la préparation du thé.
Ce qu'il est important de considérer, c'est le couple dosage/durée d'infusion. Avec l'habitude, on ajuste l'un en fonction de l'autre. Il n'y a donc pas de problème à doser légèrement plus ou légèrement moins. On ajuste.
Ce serait bien sur plus rassurant d'avoir un tableau avec des données exactes, une jolie courbe avec le dosage en abscisse et le temps d'infusion en ordonnée, et ce pour chaque infusion. Mais pourquoi gâcher la magie d'une préparation avec des instruments quand on peut juste se fier à ses sens ? Un gaiwan est on ne peut plus pratique pour savoir quand stopper une infusion. On voit les feuilles, voit la couleur de l'infusion, et on peut la sentir. Une infusion trop légère ou au contraire trop dense donnera une excellente indication pour la suite.
Bien sur, votre meilleure alliée sera l'expérience. Dans notre société, on veut tout, tout de suite. Et je suis bien placé pour en parler. Mais le thé nécessite de la patience, beaucoup même. Il faut juste admettre que la tasse de thé du lendemain sera meilleure que celle du jour présent. Au pire qu'on aura appris quelque chose.
Bien sur, votre meilleure alliée sera l'expérience. Dans notre société, on veut tout, tout de suite. Et je suis bien placé pour en parler. Mais le thé nécessite de la patience, beaucoup même. Il faut juste admettre que la tasse de thé du lendemain sera meilleure que celle du jour présent. Au pire qu'on aura appris quelque chose.
En ce qui me concerne, je vous conseille donc d'expérimenter, de vous surprendre, de jouer, et, a fortiori avec un thé de qualité, ne pas hésiter à côtoyer les limites, plutôt hautes que basses d'ailleurs. Au début, on a peur de l'amertume, alors on reste dans des dosages/temps sages au risque de s'enfermer dedans. Puis vient l'imprévu, la théière oubliée, la main lourde, et on se rend compte de ce qu'on perd... Le pire c'est qu'une tasse amère n'est pas dénuée d'intérêt, on recherche même un certain degré d'amertume dans la préparation du thé japonais par exemple.
Au final, il ne faut pas oublier que le résultat ne dépendra pas que de vos paramètres ou de la qualité de votre Yixing.
Car il faut aussi admettre, même pour les plus terre à terre d'entre nous, que le thé qu'on prépare capturera aussi l'état d'esprit du dégustateur. Ce n'est pas quelque chose qui se démontre, mais qui se constate. Mais, après tout, ce n'est pas parce qu'une chose ne se démontre pas scientifiquement qu'elle est fausse ou n'existe pas, tout ça parce que l'outil mathématique ne s'applique pas. Bref...
Le fait est qu'un peu de votre humeur se retrouvera dans votre tasse. Soyez pressé, la tête ailleurs ou en train de faire autre chose en même temps, et votre thé ne sera jamais aussi bon que quand vous êtes disponible, concentré sur ce que vous faites, ou en bonne compagnie. Cette différence d'état d'esprit pourra avoir pour conséquence d'obtenir une liqueur bien différente, certains maitres disent même que cela a plus d'importance que tous les autres paramètres réunis.
Je vous renvoie à la lecture de cet excellent article (en anglais) à propos de Maitre Ling Ping Xiang, qui sera d'ailleurs invité à Falmouth (Essence of Tea) et à Londres (Postcard Teas) si tout se déroule bien en milieu d'année prochaine pour parler de sa vision du thé. Je me contenterai juste de dire à ce propos que j'ai observé ce phénomène de nombreuses fois que cela se vérifie, qu'elle que soit l'explication dont on voudrait l'affubler.
Je vous renvoie à la lecture de cet excellent article (en anglais) à propos de Maitre Ling Ping Xiang, qui sera d'ailleurs invité à Falmouth (Essence of Tea) et à Londres (Postcard Teas) si tout se déroule bien en milieu d'année prochaine pour parler de sa vision du thé. Je me contenterai juste de dire à ce propos que j'ai observé ce phénomène de nombreuses fois que cela se vérifie, qu'elle que soit l'explication dont on voudrait l'affubler.
Le thé, c'est un art, un sport, une discipline. Pour reprendre mon parallèle du joueur de musique, la perfection ne sera approchée que par les artistes qui se livrent totalement à leur passion. Un artiste de variété qui n'aura en tête que les gains ne composera jamais la Neuvième, Kind of Blue ou Little Wing.
À bientôt !
> Prochain article : Dosage : Exemple d'un extrême.
"Ce serait bien sur plus rassurant d'avoir un tableau avec des données exactes, une jolie courbe avec le dosage en abscisse et le temps d'infusion en ordonnée, et ce pour chaque infusion"
RépondreSupprimerMais, se serait tellement plus ennuyeux...
Un même thé, un même gaiwan et à chaque fois un plaisir différent.
Encore un billet comme je les aime, loin des règles et des dogmes, le meilleur thé est celui que l'on prépare chez soi, selon l'humeur du moment, en respectant les feuilles bien, l'hédonisme est aussi une des voies du thé. Merci David
RépondreSupprimerTrès bel article, encore une fois superbement illustré. J'attends avec impatience ton billet sur le dosage bûcheron.
RépondreSupprimerEt j'aime beaucoup ta petite assiette bleue. M'a pas l'air d'être de la porcelaine Ikéa ça encore :)
Salut Cher David,
RépondreSupprimerJe ne connais pas le dosage "parfait" en revanche je sais reconnaitre un bon thé et un article clair,libre limpide et ouvert.Merci encore.A vrai dire des feuilles de qualité s'exprimeront sainement quel que soit le dosage:une des leçons de Tea Masters Stéphane:peu de feuilles une Zhu Ni et des temps un peu plus poussés selon le gout souhaité...et des dosages "bûcheron" à l'occasion;l'essentiel étant de bien connaitre ses feuilles.
Comme Sébastien j'aime ton assiette époque couleurs qinghua(blanc bleu)période Qing d'Ikéa!les 3 gaiwans (le large blanc comme neige est magnifique de classe)la Shui Ping la Chao Zhou gavée et la noire élégante.J'aime bien aussi l'auteur de ce site un certain David R.!
Bref,prépares bien tes bagages pour le Japon et à tantôt.
Voici enfin le billet tant attendu, de même qualité que les autres.
RépondreSupprimer"Ce qu'il est important de considérer, c'est le couple dosage/durée d'infusion. Avec l'habitude, on ajuste l'un en fonction de l'autre. Il n'y a donc pas de problème à doser légèrement plus ou légèrement moins. On ajuste." Tout à fait d'accord.
J'ai bien aimé aussi l'idée que la qualité d'attention joue aussi un rôle dans la dégustation.
En ce qui concerne l'amertume, il n'y a peut-être pas de courbes et de tableaux mais il y a aussi des raisons scientifiques qui peuvent expliquer pourquoi elle est présente et ce qu'on y gagne (peut-être le sujet d'un prochain billet sur le blog http://lihuanancy.blogspot.com/ :) mais c'est aussi une affaire de goût comme dans la bière.
Bravo pour les photos et l'article.
Entièrement d'accord. En plus les choses sont question de feeling et de goût.
RépondreSupprimerD'ailleurs pour moi peser (ce que je fais rarement), compter les durées (ce que je n'ai jamais fait) est pour moi un frein au plaisir. Moi je n'ai que des notions très vagues : peu/beaucoup, court/long.
"La meilleure tasse de thé ne sera pas préparée par des chimistes en blouses blanches dans un laboratoire stérile. Il y a même fort à parier qu'un thé préparé ainsi, malgré un contrôle précis des paramètres, soit assez fade et décevant."
Là par contre, c'est à voir. Il y a eu des expériences avec les vins, et certaines ont été décevantes pour les produits d'artisans. J'ai lu un jour que plusieurs jurys plaçaient devant les vins chimiques (notion qui n'a d'ailleurs pas de sens, car aucun vin buvable n'est entièrement naturel m'a t-on appris) faits sans raisins devant les produits de terroir.
@lionel : des vins sans raisins, miam !
RépondreSupprimeril y a les vins naturels sans ajouts chimiques, mais instables, et qu'il faut remuer pour enlever le gaz carbonique
mais c'est très bon, et imparfait mais l'imperfection fait partie du charme, de la beauté. Et je pense que je préfère boire un vin d'artisan, amoureux de son métier et de ses vignes, qu'il sera toujours meilleur qu'un produit "parfait" d'un chimiste pas amoureux...
@ David : super article, je vais tenter des choses !
Merci à tous !
RépondreSupprimerUn beau moment de lecture et de thé!
RépondreSupprimerMerci pour ce billet.
Et hâte de repartir à Londres pour oublier le temps chez Tim D'Offay...
Claire
Bonjour,
RépondreSupprimerMerci pour cet article qui incite à expérimenter.
Etant débutante dans la préparation du thé, cet article me laisse perplexe. En effet, à M3T, pour une dégustation GFC , les wulong sont dosés à 5g pour une théière de 12cl 'préconisation de Me Tseng). Est ce dans un souci que la dégustation plaise à tous , une recherche de l'économie ou le résultat d'une recherche personnelle pour standardiser le dosage ? Dans un autre comptoir, on m'a affirmé que le GFC était défini avec un dosage de 6-7g pour 10cl. Avez vous connaissance d'un tel "référentiel" ? Est ce écrit quelque part, dans la manuel de Lu Yu peut être ?
Cela dit je pense que tous les wulong, se dosent différemment en fonction de nos préférences. Par exemple un Anxi TGY ne se dosera pas de la même façon qu'un dan cong, ce dernier ayant plus d'amertume.
@Claire : merci !
RépondreSupprimer@Thécat : il n'y a pas de réponse chiffrée à la question du dosage type, que ce soit pour les wulong ou d'autres thés. Un "standard" sera très différent d'un endroit à l'autre.
Fixer 5g pour les wulong pour l'exemple de la dégustation à la maison des 3 thés est pour moi totalement arbitraire. Ce sera presque trop pour moi pour un gao shan très vert et loin d'être assez pour un thé torréfié. Dans tous les cas, préconiser le même dosage pour une famille aussi large que celle des wulong relève plus de l'aspect pratique à mon avis que de la recherche de paramètres adéquats. Cela dit 5g paraissent pas trop mal, mieux que 2g (voire moins) pour les puerh... Dans ces conditions, difficile de goûter quoi que ce soit, d'autant qu'on n'a pas vraiment le choix de l'ustensile. Bref...
Sinon, je ne conseille pas de croire quiconque viendrait avec des chiffres pour définir le gong fu cha, ou tel dosage idéal, que ce soit moi ou quelqu'un d'autre. Il faut juste admettre que les goûts sont différents d'une personne à l'autre et que seul les essais et les erreurs feront découvrir à chacun ce qui convient le "mieux". Et ce sera surement différent d'un thé à l'autre, et suivant les humeurs, l'ustensile utilisé, etc.
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