Alors pour faire suite à l'article précédent qui parlait de ma vision globale du dosage, je voulais m'attarder un peu sur un exemple qui m'a beaucoup inspiré. Il m'a permis d'oser différemment, de voir plus loin, de sortir des carcans de ce que je croyais être "les limites".
En l'absence des enseignements d'un "Maître de Thé" sous nos latitudes, beaucoup cherchent à s'inspirer des méthodes employées par les autres, méthodes que l'on trouvera aisément sur internet, les forums, etc. Certains les tiennent des personnes mêmes qui produisent le thé, sur place, ce qui semble aux premiers abords quelque chose d'important à considérer dans sa recherche.
Parmi les sources qui m'ont marqué, outre les excellents billets de Thomas cités dans l'article précdent, sont venus les billets de Tim, alias Toki de Mandarin's Tea Room, qui s'inspire lui-même de rencontres faites sur le terrain. Il résume parfaitement sa philosophie du KungFu Cha dans cet article (en anglais). Aussi, je vais me baser sur des citations prises ça et là sur son blog pour essayer d'illustrer sa vision des choses. Car je la trouve extrêmement noble et motivante.
Nous sommes ici dans un extrême, celui des dosages forts, de la difficulté, mais, au-delà, dans une voie martiale : le Kung Fu Cha.
Nous sommes ici dans un extrême, celui des dosages forts, de la difficulté, mais, au-delà, dans une voie martiale : le Kung Fu Cha.
The whole idea of Kung-Fu tea brewing is to maximize full potential of a good tea, pushing its limits, extracting the best essences and energy.
L'idée même qui se cache derrière le Gong Fu Cha est d'obtenir le meilleur d'un bon thé, le pousser dans ses limites, extraire le meilleur de ses essences et de son énergie.
Pousser le thé dans ses limites, voila quelque chose qui me plait. La difficulté a quelque chose d'attirant également à mes yeux. Et puis la préparation a toujours été l'aspect du thé qui m'a le plus passionné. Savoir qu'on peut toujours s'améliorer, que malgré le fait d'avoir les meilleurs instruments et éléments devant soi, un "pro" arrivera toujours à produire une tasse dix fois meilleure que la votre, voila quelque chose qui me motive et me donne envie de continuer, de m'améliorer encore et encore.
Chaque session est source d'apprentissage. On apprend même peu mais surement. La quête de la meilleure tasse n'est pas quelque chose de fini, c'est aussi cette recherche martiale qui est intéressante. C'est le travail d'une vie à se remettre en cause, à ne jamais se reposer sur des certitudes, à rester humble et curieux. Et ce n'est pas le plus facile. Le thé n'est pas facile quand on emprunte cette voie.
My point is, if it's not challenging, why Kung-Fu? All good tea should be challenging, it is an adventure, they need full attention and mental focus. It is the least we could give back to them.
Ce que je veux dire, c'est que si ça ne représente pas de difficulté, pourquoi s'adonner au Gong Fu Cha ? Tous les bons thés devraient représenter un challenge, c'est une aventure, ils réclament toute notre attention et notre concentration. C'est la moindre des choses qu'on peut leur rendre en échange.
Respecter le thé qu'on a entre les mains, surtout quand il s'agit d'un thé de Maître, fait à la main, avec amour, fruit d'un savoir-faire parfois ancien. Un tel thé peut être vu comme un message du producteur au consommateur, mais aussi quelque part un défi, une énigme. "Trouve la manière de percer mes secrets, dit le thé, et je t'apporterai une tasse fabuleuse !"
Finding the right balance of this practice is just the beginning. Pushing its limit, improving the skill, educating the palate, and listening to the brew is a life long dedication. The reward is both physical and mental harmony.
Trouver l'équilibre dans cette pratique n'est que le commencement. Pousser ses limites, améliorer sa technique, éduquer son palais et "écouter son infusion" est le travail d'une vie. La récompense est une harmonie à la fois physique et mentale.
(à noter que toki pratique la méditation il me semble)
Beginners often use less tea to water ratio, and Master usually do the opposite. A seasoned tea drinker once told me, the reason to do this is often someone has not yet found something good enough or confident enough. When you use a load of not-so-refined tea, the best you get is a cup of not-so-refined brew. A high quality tea, when you pack it to the top, you will always get a top cup. That's why you have tea bag, and the normal way to brew it? A bag to a big cup, you can make any tea bag taste passable.
Les débutants utilisent souvent une faible quantité de feuilles tandis que les Maitres font en général l'opposé. Un grand amateur de thé m'a dit un jour qu'un débutant fait ceci soit car il n'est pas encore tombé sur un thé assez bon ou qu'il n'a pas assez confiance en lui. Quand vous utilisez une grosse quantité d'un thé pas terrible, le mieux que vous pourrez obtenir sera une tasse pas terrible. Avec un thé de haute qualité, quand vous remplissez votre ustensile d'infusion au max, vous obtiendrez toujours une superbe tasse. C'est pour cela que quand on prend le thé en sachet, quelle est la manière des les préparer ? Avec un sachet dans une grande tasse, vous pouvez transformer n'importe quel thé en quelque chose de potable.
L'idée développée derrière cette citation est intéressante pour comprendre le pourquoi de dosages importants, outre l'aspect plus martial développé auparavant.
Si on utilise une faible quantité de feuilles et des temps longs, on arrivera à obtenir quelque chose de moyen avec n'importe quel thé. C'est donc le principe des sachets de thé : on a à faire à un produit de qualité moyenne à médiocre, alors on dilue pour obtenir quelque chose de potable, ce qui sera le mieux à faire. Mais dans le cas d'un très bon thé, ce sera excessivement dommage, car on ne tirerait absolument pas profit de tout son potentiel, et on n'aurait seulement qu'une vision superficielle de ses qualités.
How to extract a certain stage or certain character from a tea is the reason/function of a yixing pot. If we fill 1/3 or 1/4 of tea to water ratio in a yixing, there is no difference of brewing it in a big pot way.
(En parlant de dosage de Dan Cong) Extraire un certain trait, une particularité d'un thé est la raison d'être d'une Yixing. En la remplissant au tiers ou au quart du ratio quantité de feuilles/volume d'eau, il n'y a pas de différence par rapport à une infusion en grande théière (en porcelaine).
Le Gong Fu Cha (Kong Fu Cha), ce n'est pas une infusion pépère en mettant quelques grammes perdus dans un grand récipient, où une différence de quelques secondes voire plus ne se sentira guère sur le résultat final. Ce n'est pas la voie de la facilité.
Et il faut bien comprendre qu'on ne parle pas ici de grande théière de 1 litre en porcelaine en disant ça, mais mettre 3-4g dans une Yixing de 12 cl est exactement pareil.
End of the day, there is no right or wrong in brewing a cup for yourself, but there is always a better way.
Au final, il n'y a pas de bonne ou mauvaise façon d'infuser son thé, mais il y a toujours une meilleure façon.
Et c'est précisément le but. La recherche, la remise en cause, la quête.
Voila pour ce qui est de présenter cette vision des dosages et du thé en général, cette voie martiale, un art appliqué à quelque chose d'aussi "simple" que le Thé.
Je voulais parler de cet exemple car personnellement il m'a ouvert les yeux. Je ne dis pas que je suis adepte de tels dosages de manière systématique, loin de là même. Mais je trouve intéressant de savoir que cette voie existe, que ce soit pour l'aspect martial que je trouve superbe, ou pour les quantités de feuilles utilisées qui, même toujours parfois extrêmes à mes yeux, sont loin d'êtres dénuées d'intérêt. Après ça, on a moins peur d'explorer avec plus d'audace et parfois de faire de très belles découvertes, comme ce fut le cas pour moi.
Je terminerai cet article par les dosages relevés sur le blog ou le site de Mandarin's tearoom sur plusieurs sortes de thé. Il faut noter qu'en Chine, on parle plus volontiers de volume qu'occupent les feuilles dans la théière ou le gaiwan plutôt que de grammes par rapport à des centilitres. Attention avec les puerh compressés cependant...
Type de thé | Volume occupé | Temps de la 1ère infusion |
---|---|---|
Puerh | 1/4 - 1/3 | 5-10 sec |
Yancha | 3/4 - plein | 1 sec |
Dan Cong | 2/3 - 3/4 | 5-10 sec |
Thés d'Anxi verts | 1/3 - 1/2 | 10 sec |
Thés d'Anxi torréfiés | 1/2 - 3/4 | 5-10 sec |
Thés rouges | 1/4 - 1/3 | 5-10 sec |
Long Jing | 1/3 | 10 sec |
Attention, tout ceci est à prendre avec des pincettes. Déjà, il y pourra y avoir de grandes différences entre plusieurs thés d'une même catégorie. Et puis ce sont des indications générales. Mais je pense que c'est un exemple assez éloquent de ce qui est évoqué plus haut en prose.
Sur ce, je vous souhaite à tous un excellent réveillon !
À bientôt !
À bientôt !