jeudi 12 août 2010

Le doute









L'ennemi de tout débutant. Celui qui fait sortir de sa concentration, qui gâche souvent le plaisir.

Et si j'étais en train de passer totalement à côté de ce qu'avait voulu dire la personne qui a confectionné ce thé, torréfié ces feuilles ? Si j'infusais court, trop court pour faire ressortir la vraie essence de ce thé ? Et si au contraire, j'étais en train de l'étouffer par un temps et/ou un dosage trop important ?





Pas facile d'effacer de tels doutes. Rares sont ceux ayant la chance d'avoir un maître de thé pour les guider. Nous avons quelque fois accès à l'expérience de certaines personnes partageant leur passion sur la toile. Mais il nous faut surtout compter sur la pratique et la curiosité pour avancer. Cela demande du temps. Il faut l'accepter.

On adoptera plutôt une approche scientifique, armé d'instruments en tout genre : balance ultra précise, chronomètre, papier et crayon, ou une approche plus calme laissant place à la seule pratique, souvent juste aidée d'un bon pifomètre. J'avoue avoir été longtemps de la première école, opérant par dichotomie, établissant des règles empiriques pour se rassurer.

On découvre alors qu'on préfère tel thé comme ceci, plutôt que comme cela. Mais pour combien de temps cela sera-t-il vrai ?





La lecture d'une petite histoire m'a fait réfléchir dernièrement. Il s'agit de celle d'un élève apprenant la cérémonie du thé au Japon qui demande à son maitre : "vous dites que telle manière de procéder est la bonne, or, lors d'un voyage, j'ai rencontré un autre maitre qui m'a dit de faire plutôt comme cela." Et son maître de répondre : "quelque soit le maître qui enseigne, il a raison sur le moment." Cela m'a d'abord semblé étrange, en particulier pour une cérémonie aussi codifiée que le chanoyu. Mais la réponse est plus fine qu'il n'y parait.

Bien plus loin dans ma réflexion, je me suis dit : si je prends un thé précis, qu'après moult expériences je dis que la meilleure façon possible (pour moi) de l'infuser est dans tel instrument, en mettant tant de feuilles pendant tant de temps à une température donnée, quelle chance y aura-t-il pour que ce soit toujours vrai dans 2 ans ?

Déjà, les thés que nous buvons n'étant pas des blends, je ne retrouverai jamais exactement le même. On est pas chez Lipton. Si j'en conserve tout ce temps, il changera de façon certaine. Avec l'expérience de tout ce qu'aura pu rencontrer mon palais en deux ans, mes sensations seront différentes, ainsi que mes envies. Enfin, sauf dans le cas du zhong, la théière aussi aura changé, son rendu affecté par les infusions passées. Alors à quoi bon se casser la tête ?





J'ai souvent l'impression - ou plutôt peur - de passer mon temps à courir après mes thés, me disant qu'il y a moyen de s'améliorer, de tirer plus profit de la feuille. A quoi bon chercher à tout prix la bonne, que dis-je, la meilleure manière d'infuser son thé si celle-ci est sujette à bouger dans le temps ?

Alors que cette réflexion pourrait donner envie de s'arracher les cheveux, elle peut aussi rendre les choses incroyablement simples !

Si on part du principe que tout évolue de la sorte, alors la recherche de paramètres précis est futile, car peut être que de s'enfermer dans ceux-ci sous prétexte que cela a fonctionné avant aura pour conséquences de passer à côté de son thé à un nouvel instant "t."

Une "simple" dégustation avec des paramètres au jugé n'apportera alors rien de moins, mais ajoutera au plaisir de se passer du doute d'avoir mis 3 grammes plutôt que 4, d'avoir infusé 1'27" à la place de 1'13" et des folles conséquences néfastes que cela pourrait avoir. On tirera alors simplement des enseignements de ce que l'on voit, sent, sur le moment. Plutôt que de se demander ce qu'aurait donner une autre façon, on appréciera simplement ce qu'on a.





Tout cela pour dire que mes réflexions récentes m'ont fait prendre un nouveau virage dans ma voie du thé. J'ai décidé de lever le pied sur les expériences et comparaisons à outrance. Plus de balance, plus de chrono. Place au feeling ! Trop de tasses gâchées car le doute a fait s'évaporer le plaisir unique du moment. Qu'importe si ma tasse n'est pas la meilleure. Elle sera dorénavant le fruit de l'instant présent, belle dans son unicité et son côté incontrôlable. Et je doute qu'elle soit exempte d'enseignement.





À bientôt !


PS : Cet article est illustré de photos de ma nouvelle théière. Il s'agit d'une Yixing qui appartenait à Nada avant qu'il ne décide de s'en séparer. Hong Ni. 70's. 90ml. Yixing Factory #1. Parois fines. C'est « la dernière avant un moment, » comme aurait dit Philippe de la Galette de Thé. Son blog à présent disparu, je tenais à lui dédier ces photos, trop petit hommage aux longs moments de rêveries passés à contempler sa collection, et à lire tout le reste...





14 commentaires:

  1. La première photo m'a immédiatement fait penser à La Galette De Thé ! Je me joins à toi pour ces pensées concernant feu ce blog génial..

    Tu as d'ailleurs bien réussi à capturer le grain de ta théière dans ces photos. L'effet est magnifique.
    Hong ni... Tu pars sur quelle famille ? Rochers ? Pu-erhs ?

    Sur la réflexion, je te rejoins entièrement. Infuser au feeling, avec souvent un bon résultat. Étrange, car à mes débuts, cela donnait souvent des ratés. Désormais, pas de chronomètre, ni de balance, tout à l'œil et au jugé, mais avec l'expérience. C'est sûrement une phase qui arrive après un certain temps d'apprentissage.

    RépondreSupprimer
  2. Ton article me permet de faire le point sur les paramètres que j'emploie.

    C'est tout au feeling...

    Le poids est donné par la quantité de vrac que je mets dans ma feuille de porcelaine blanche. Il y a trois mesures : la "bonne mesure", la mini, la maxi. Il arrive parfois suivant mon humeur, mes envies, mon état, que la "bonne mesure" oscille entre mini et maxi. Mais jamais je ne dépasse ces mesures sinon le thé est franchement imbuvable. La difficulté réside dans les compressions.

    La température de l'eau est donnée par la grosseur des bulles. Facile, je ne bois pour ansi dire pas de vert, de blanc, de jaune. Reste les pu'er et les wulong qui acceptent entre 90° et 100°C.

    Le temps d'infusion m'est communiqué par les feuilles (ou l'habitude pour les rationels). Je pense m'en tirer correctement. Notement avec les Dan Cong qui sont franchement traitre si le temps d'infusion dépasse le point d'équilibre de l'inusion (ce que j'ai nommé le "top infusion"). Pour cette famille l'amertume est au rendez-vous si le dégustateur manque d'attention.

    Alors ça peut paraitre discutable de faire au feeling pour une personne qui est sur la voie du thé depuis peu, mais ce ressenti ça fait plus de 10 ans qu'il me suit tout les jours. De là a l'appliquer au thé, le résultat à mis moins de temps que pour un dégustateur classique.

    En conclusion je dirais qu'il faut savoir écouter les feuilles, l'eau, la théière. Comme le faisait nos prédécesseur de l'époque ou la science avait une emprise nettement moins importante qu'aujourd'hui.

    Savoir savourer l'instant présent. Ce rendez-vous que l'on se donne avec soi même lors d'une dégustation. Laisser le thé diluer le spleen et parfumer le bonheur...

    RépondreSupprimer
  3. Oui il est vrai qu'arriver à se passer des instruments demande d'avoir déjà un minimum pratiqué. C'est peut-être une phase également. Mais comme je le souligne, pour moi c'est surtout une nécessité pour couper court aux doutes liés aux différents paramètres possibles, qui occultent parfois la simple observation des feuilles (degré de torréfaction, compression, etc) susceptible de donner déjà beaucoup d'indices. Je pense pouvoir mieux profiter ainsi et progresser également.

    Cette magnifique théière va a priori servir aux wulong. C'est l'utilisation qu'en faisait Nada. En théorie, tout y passera sauf les extrêmes : les gao shan cha très verts, qui ont une Tozo dédiée, et les très très torréfiés, qui passent en zhong en général chez moi. Mais j'essaierai tout ce que j'ai sous la main pour voir de toute façon. Mais a priori, elle ne servira pas pour le puerh. Pour les rochers, je sais pas trop, je verrai ce que donnent les essais. J'ai du mal à rester fidèle à un instrument pour ce thé en ce moment, je me cherche toujours énormément.

    Ciao.

    RépondreSupprimer
  4. Elle est magnifique ta théière. C'est ce qui me manquerait pour approfondir ma voie. Je te souhaite de bonnes rencontres avec elle et des moments de bonheur.

    RépondreSupprimer
  5. Jolies photos et très belle philosophie dans ton approche du thé.

    Concernant la Galette de Thé, tout ceci est bien triste. Et sait-on pourquoi elle a soudainement disparu ? Est-ce définitif ? Dommage, j'aimais bien consulter ce blog.

    RépondreSupprimer
  6. Effectivement, la disparition du blog de Philippe est une grosse perte, c'était une mine d'informations !!
    Superbe théière David, j'espère qu'elle t'offrira de belles infusions.
    Depuis le début de mes dégustations j'ai pris le parti de laisser parler mon pifomètre. J'avoue avoir plusieurs fois été à 2 doigts d'investir dans une balance et un thermomètre, mais je n'ai pas cédé. C'est sans doute un tort car passer par ce recours aux instruments de mesure m'aurait je pense donné de bonne bases. Cependant je trouve que c'est un peu trop encombrant pour l'esprit, et tant pis si je tâtonne davantage et plus longtemps, je ne suis pas pressé. Comme tu l'as dit, le thé doit être apprécié sur le moment, tel qu'il a été infusé, selon l'inspiration et le ressenti du jour.
    Avec le recul, penses-tu que tu as beaucoup progressé dans ta pratique grâce au thermomètre et à la balance ?

    RépondreSupprimer
  7. @ Sébastien

    "Avec le recul, penses-tu que tu as beaucoup progressé dans ta pratique grâce au thermomètre et à la balance ?"

    Je suppose qu'il y a une relation directe avec le nombre de thé que l'on côtoie. Si le nombre est trop élevé, c'est la dispersion. Si on tourne régulièrement avec quelques uns c'est plus aisé de se faire la main, de les connaître et d'acquérir des bases plus solides.

    RépondreSupprimer
  8. > Avec le recul, penses-tu que tu as beaucoup progressé dans ta pratique grâce au thermomètre et à la balance ?

    Je n'ai pas tant de recul que ça... Je pense que la balance aide pas mal au début. Autant pour certains thés, sous-doser avec des infusions plus longues est intéressant, autant pour certains, j'ai l'impression que c'est un peu gâcher du thé quand même. Il y a moins de risque en dosant trop.

    Le thermomètre est pour moi indispensable avec des thés verts japonais ou chinois. Je pense qu'il en sera toujours ainsi.

    RépondreSupprimer
  9. Cher David,

    Bel article,beau grain de ta théière niveau d'eau superbe:
    on pourrait croire à une Zhu Ni mais une Hon gni 70' s vaut certainement mieux qu'une soit disant Zhu Ni moderne mal confectionnée.
    Le Doute : l'importance du Doute base de la Philo : tu poses les bonnes questions : et en disant :

    "Elle sera dorénavant le fruit de l'instant présent, belle dans son unicité et son côté incontrôlable. Et je doute qu'elle soit exempte d'enseignement."

    Tu as Tout dit.Les instruments que tu évoques plus haut thermomètre et balance sont là pour nous rassurer(pour celui qui débute cela parait indispensable) ;le tout est de s'en séparer progressivement,à force d'exercice et de pratique.

    Que je suis heureux de pouvoir offrir une tasse de Oolong de haute montagne sans la balance et le thermomètre juste à l'oreille et au son de l'eau qui boue ...C'est plus naturel mais pour y parvenir c'est vrai qu'on doit au début passer par ces ustensiles...(sauf pour l'instant comme tu le précises pour des verts japonais et autres délicatesses...)

    Pour le reste : "on ne se baigne jamais dans la même eau d'une même rivière" ; intégrant cela au Thé, je sais que je n'obtiendrai jamais la même liqueur ; il y a tellement de paramètres qui entrent en jeu que tout se joue en subtilité et dans le détail : il y a des jours par ex. ou si je suis nerveux ou tendu et ma tasse sera à l'image de cette tension;d'autres jours parfaitement cool et lâché et j'aurais une merveille sans même le vouloir.
    Chercher la Perfection dans le Thé est une hérésie.Plus on cherchera à faire "parfait" et plus on sera détourné de l'essentiel:cela doit venir naturellement...comme en cuisine,en photo;bien sur il y a des règles dans tous les Arts mais après avoir intégré qq notions primordiales cela doit se faire Comme "Tout seul" ,j'exagère un peu... mais c'set pour me faire comprendre!

    En tout cas tu poses les bonnes questions : c'est cela qui compte.Ta Voie est remarquable.
    La notion Temps&Patience est essentielle dans l'apprentissage.

    Merci David.

    Amitié.

    .PHILIPPE.

    RépondreSupprimer
  10. Salut Philippe. Comme à chaque fois, tes commentaires me font extrêmement plaisir.

    Tu soulèves deux points intéressants. Le premier est sur la capacité à offrir une tasse de thé à quelqu'un sans pour autant qu'il se sente chez l'épicier du coin. Être capable de montrer que le thé c'est avant tout de la sensibilité et du feeling, plutôt qu'une recette de cuisine. Voilà un but honorable à mes yeux.

    Ensuite, tu parles de la quête vers la tasse parfaite. C'est une interrogation que j'ai. C'est toujours le but affiché. Mais comme dans les arts martiaux, la recherche en elle-même est parfois la finalité. On sait qu'elle n'aura pas de fin, l'essentiel est la recherche, l'humilité, la patience et la passion qu'on y met. Face à ce constat, je me demande si la manière terre à terre, "scientifique" soit la solution appropriée à une approche aussi sensible.

    Mais j'empiète sur un futur article là... ^^

    Au plaisir !

    RépondreSupprimer
  11. Et bien depuis deux ans sans peser et sans mesurer le temps, j'ai l'impression de progresser à pas d'escargot, je viens d'ailleurs d'acheter un timer... Par contre j'ai une bouilloire "intelligente" depuis un bon moment mais c'est vrai qu'elle est surtout utile pour le reste, c'est à dire pas les oolong...

    Mais je pense que ces paramètres ne changeraient pas grand chose dans ma progression car je suis trop nonchalante pour ça... Par exemple tout à l'heure j'ai voulu faire une infusion de 20 secondes, mon attention à été attirée par autre chose et quand je m'en suis rendue compte, ça faisait 4 minutes... Autant dire que le thé était imbuvable!

    Mais si je peux me permettre ce genre de chose c'est que je suis toujours sur des entrées de gammes donc pas la peur de rater et de gâcher du trop bon thé!

    En plus pour l'instant j'aime ce thé comme ça et c'est aussi ma façon à moi de progresser sur mon propre petit chemin : je bois le thé comme je l'aime, des fois je le réussi et des fois je le rate mais ce qui est sûr c'est qu'il n'a jamais exactement le même goût (mais je le réussi plus souvent à mon goût que je ne le rate sinon j'imagine que je changerais)
    Souvent je lis vos blog et je me demande sur quels paramètres vous décidez de faire une infusion de tant de grammes et de tant de temps alors c'est vrai que quand j'essaye moi aussi des temps précis, c'est finalement aussi au pif que si je ne savais pas le temps.

    Ce que je devrais faire mais que je n'arrive à faire c'est plutôt me concentrer sur un nombre restreint de thés et de les déguster de différentes manières mais je crois que je vais rester pour longtemps une dilettante sur cette voie là!

    RépondreSupprimer
  12. À chacun de se faire plaisir avec la voie qu'il choisit. Moi aussi, j'aimerais avoir le courage de faire mieux plein de choses mais la flemme m'en empêche... Concernant le thé, j'essaye de m'appliquer, mais je te rassure ce n'est pas toujours le cas.

    Je me souviens d'un Dong Ding que j'avais amené au boulot, dosé grassement, oublié dix minutes sur la première infusion. Je me suis dit "je le bois, je le bois pas ?" je l'ai finalement fait... Je crois jamais avoir été aussi speed de ma vie ! ^^

    RépondreSupprimer
  13. http://www.youtube.com/watch?v=xV3oCBrttVI

    RépondreSupprimer