Je me sens actuellement dans une période de changement, comme à la fin d'un chapitre et au début d'un nouveau. J'ai la sensation d'avoir eu une réponse satisfaisante à pas mal de questions que je me posais et qui me bloquaient dans mon avancée, m'encombraient l'esprit et m'empêchaient de jouir pleinement de mon thé. L'impression d'avoir la main plus assurée lors de mes gong fu cha. L'impression de pouvoir à présent envisager la suite plus sereinement, avec moins de précipitation. Ce n'est pas la folie des grandeurs pour autant. Je n'en reste pas moins un tout petit scarabée et je dois continuer à apprendre, toute ma vie sans doute.
Aussi, je vais revenir sur ces derniers mois d'expériences de thé. Je m'étais fixé quelques principes pour mon sado, ma voie du thé. Or, la pratique remet souvent en cause ce genre de postulats. Il me faut maintenant confronter la pratique à la théorie de départ. Revenons sur le chemin parcouru.
Les lieux du thé qui ont façonné mon sado...Au commencement, c'est au Japon que la graine a été semée. Kyoto, Teramachi-dori, une rue extraordinaire remplie d'antiquaires et de plein d'articles de thé. Le
hasard guide mes pas alors que je voulais relier le Palais Impérial à la galerie marchande. Je flâne dans cette rue et tombe sur un magnifique magasin de thé tout en bois, splendide : Ippodo. Je goûte, je rêve, en ramène un peu, achète un grand kyusu quelques jours plus tard sur le volcan de Kagoshima. De retour chez moi, je me fais plaisir sans rien y connaître mais le thé a un peu le goût de là-bas, l'évocation du voyage.
J'entretiens la passion chez mon marchand de thé local. Très sympathique. Aussi fana du Japon. Il commande quelques sencha de plus en plus beaux, maintenant qu'il a un client de plus intéressé. Puis vient le tournant...
Tout a vraiment commencé chez Madame Wang, à Terre de Chine avec un ami, lors d'une après midi ensoleillée. "Pu-er," un mot que j'avais entendu je ne sais plus où, répété à la maitresse des lieux. La démonstration qui s'en suivit fut le point d'origine de ce qui allait suivre. Ici commence véritablement mon sado et les choses sérieuses.
J'y étais encore samedi dernier. Quelle générosité dans la manière d'y présenter le thé ! Madame Wang n'a pas un passé de grande spécialiste. Elle s'est formée sur le tas et continue ainsi comme beaucoup d'entre nous. J'aime son humilité et sa dévotion à la tâche. Pour chacun de ses thés, elle visite les producteurs, toujours choisis pour leurs qualités artisanales, loin de cultures intensives des plantations. Elle surveille les étapes de préparation, goute et sélectionne pour ne proposer que du bon thé, loin des arnaques, blends et autres sous-produits qui inondent le marché. Un beau sacerdoce.
Elle a récemment mis au point un petit slideshow pour quasiment chacun de ses thés. On peut voir le terroir, le cadre souvent magnifique, les ouvriers à l'œuvre. Cela parle plus qu'une étiquette. Elle a aussi quelques films en préparation, notamment sur le pu-er et les différentes étapes du théier à la galette. Tout ceci est passionnant, je vous le conseille.
Bref, comme vous pouvez le voir, j'en profite pour faire cette sorte de "pub" car la blogosphère parle trop peu de cette boutique, certes à la carte moins impressionnante que celle de la maison des trois thés, mais loin d'être négligeable. Je souhaitais tenter modestement de rétablir un équilibre plus juste à mes yeux sur une toile où les sigles de la maison des 3 thés vont bon train, comme s'il s'agissait de la norme.
Rue Quincampoix, le thé révèle une dimension humaine, de partage, celle du thé qu'on offre sincèrement en cadeau à un invité, comme un thé à la menthe au Maghreb. Cette empathie est importante à mes yeux et à présent fait partie intégrante de ma vision du thé, grâce à Madame Wang et d'autres comme on le verra par la suite.
L'ambiance n'est pas la même à la maison des 3 thés. Je m'y suis d'ailleurs rendu vendredi dernier. C'est une autre pierre angulaire de ma voie du thé. J'aime beaucoup cette boutique. Là-bas, la dimension du thé est tout autre. Le thé y est studieux, analytique, silencieux, plus choyé, plus privé. On s'y retire comme un moine ou un artiste en recherche d'inspiration pour déguster du thé avec attention et minutie. Et puis il y a Gilles, sommelier du thé hors pair avec ses gestes, ses mains qui parlent, qui illustrent les nuances. C'est chaud, c'est pointu.
Rue Quincampoix, c'est plus convivial, moins chic et élitiste, mais la chaleur et la générosité humaine réchauffent les tasses les induisant de joie liquide. Deux ambiances. Des qualités différentes. J'aime autant les deux ! Ils sont complémentaires. Ce sont les deux endroits principaux qui me fournissent du bonheur. Mais ce ne sont pas les seuls !
Mon sado exige de multiplier les expériences, dans de multiples endroits. Virtuellement à Taïwan auprès de Stéphane, au Japon chez Akira Hojo, en Suisse chez Lionel, à Rouen chez mon petit marchand local, pour ne citer qu'eux.
Ne pas se limiter à une source... Apprendre auprès des autres...Une dégustation sublime d'un puer anonyme ramené de Chine par un ami, et ce après avoir été exclusif à la maison des 3 thés pour cette variété pendant un bon moment, m'a fait réfléchir au fait qu'en pratiquant de la sorte, je me bornais à une seule vision, certes celui d'une des plus grandes expertes mondiales - comme aime à le rappeler longuement son assistant - mais une seule vision, un seul goût. D'autres théiers séculaires si ce n'est millénaires à la personnalité différente existent. D'autres méthodes de préparation également. D'autres critères de sélection. Reste à les découvrir sans se faire vendre de la camelote...
Au moins à la m3t on est sûr du résultat, chez Madame Wang aussi, photos à l'appui, chez Stéphane également, chez Lionel aussi sûrement, je vais très bientôt gouter ça...
Je comprends les mono-maniaques de tel ou tel endroit qui en ont marre d'être déçus par la multitude d'autres boutiques, en ligne ou non. D'autant qu'une maison comme celle des 3 thés offre une gamme assez vaste pour une vie entière... Je ne les juge pas. Je parle de mon sado. Gouter le même thé provenant de divers endroits m'est nécessaire dans mon désir vain d'être exhaustif.
Bref, je suis content de ces diverses expériences, toujours heureux de discourir avec Gilles, de voir ses mains parler (avec ou sans gants blancs,) toujours heureux de me rendre à Terre de Chine pour un moment précieux de partage avec de franches rigolades, heureux de lire les articles de Stéphane dont il se dégage presque des vapeurs parfumées, ceux encyclopédiques d'Akira Hojo, voir les superbes photos de Lionel, heureux de lire la toile en général et les avis émis, d'essayer de cerner les goûts de chacun et de ravir un peu de leur expérience.
Récemment, j'ai eu du temps devant moi. Alors j'ai relu quasiment tous les blogs de liste que vous voyez sur votre droite. Tous les billets. Tous les commentaires. Armé de papier et d'un stylo. Un temps fou. Un voyage dans les univers gustatifs de chacun (et d'autres choses.) De la passion couchée sur papier. Des affinités naissantes. Des engueulades. Plein de voies du thé différentes. Certaines cherchant à ressembler à celle des autres. Certaines se cherchant seules tout bonnement. Des pionniers également.
Expérimenter...J'en ai passé du temps et surtout j'en ai bu des litres de thé ! Comparaison théière-zhong, théière A-théière B voire même théière C. Tasse à sentir, couvercle de zhong. Petit dosage, théière qui déborde de feuilles. Des litres et des litres de thé imbuvables, mais qui servent à comprendre ce qui se passe. Et le pire c'est que c'est loin d'être fini. Et c'est pour le mieux ! Tel est le prix à payer.
Que d'expériences en quelques mois quand j'y repense.
Des achats...Sûrement beaucoup trop ! Du thé bien évidemment. Au début c'est la frustration, alors dès qu'on a les moyens c'est la boulimie. Des zhongs, des théières. Je suis loin de montrer sur ce blog le fruit de toutes mes emplettes. Je suis comme ça, boulimique. Je me suis souvent interrogé sur les conséquences de cet état de fait. Cela dessert-il le thé ? C'est une passion avant tout. Si je prends par exemple la porcelaine, je ne me lasserai pas de contempler le travail de Yamane Seigan. En "collectionner" est un régal. Une autre passion.
Pour les théières, je pense que c'est un peu comme le thé. Au début, on en veut plein, pour se rendre compte, après, qu'il vaut mieux en avoir peu, de bonne facture, que plusieurs basiques qui seront remplacées à la longue, dans l'idéal pour n'en avoir plus qu'une.
À l'heure actuelle, j'ai deux et bientôt trois bombes : un kyusu (Mashimizuken,) une théière de potier taïwanaise (ma petite bombe noire) et une future qui va bientôt pointer son nez. À côté de cela, il y en a d'autres peut-être moins prestigieuses mais qui servent ! Celles qui étaient susceptibles de prendre la poussière ont été offertes.
Partager...Rendre la générosité dont on fait preuve les gens à mon égard que ce soit pour du thé ou du temps consacré à m'aider. Voilà quelque chose qui n'était pas initialement dans mes principes. Mais je ne m'y attendais pas, essentiellement car le blog est arrivé après. Mais cette attention m'a tellement touché que je tiens à la perpétuer. Comme je l'ai souligné en ce qui concerne la boutique Terre de Chine, le thé est bien meilleur quand il est doublé d'une dimension altruiste et sincère. Merci à ceux qui m'ont consacré du temps et du thé.
Voilà. Il y aurait plein de choses à rajouter. Des rencontres, des joies, des déceptions... L'essentiel est je pense d'être resté fidèle à mon sado.
Je me suis certes éparpillé mais je continuerai.Je me suis fait conseiller, même influencer, je continuerai.J'ai fait des erreurs de jeunesse, de précipitation, mais je continuerai.J'ai fait des rencontres, même virtuelles, et j'espère continuer.Ne rien regretter tant qu'on en tire une expérience.Continuer d'être humble, curieux et généreux.Multiplier les expériences.Telle est ma voie du thé.À bientôt !