mardi 2 juillet 2013

Méthode et Kyusu



Il est assez bizarre pour moi de constater que toutes les règles, la méthode que j'applique aux thés chinois ne se retrouve pas dans ma pratique quotidienne des thés japonais. Ce n'est pas vraiment volontaire, ces thés -  tout comme beaucoup de choses au Japon j'ai l'impression - semblent ne pas obéir aux mêmes règles...

Je parle de méthode quand j'évoque les thés chinois, car je trouve ça fondamental pour ma pratique. On a tous une approche personnelle des choses, la mienne est manichéenne. Aussi, voilà déjà un bon moment que j'ai abandonné les terres, ainsi que toute variation de paramètres incontrôlée : toujours la même eau très pure, la même bouilloire neutre et des porcelaines de qualité. Cela peut paraitre simple voire simpliste, mais ça laisse encore beaucoup de choses à affiner, de marge à la progression.

























Mais cette méthode n'a jamais vraiment envahi mes thés japonais, malgré une pratique quasi quotidienne, et ce depuis un petit moment. Au début, parce qu'il me fallait peut-être cette petite bulle où je fais ce qu'il me plait sans me soucier des "règles". "Tiens, et si je laissais l'effet se faire, sans me soucier de progresser, ou de comprendre... ?" Ça a tenu un moment...




Et puis il est venu ce besoin de comprendre. C'est passé chez moi par l'achat d'un kyusu en porcelaine, neutre (en fait deux...) Mais cette période n'a pas duré très longtemps et ce pour une raison très simple : j'ai acquis de magnifiques kyusu lors de ces deux dernières années, et qui font de très bons thés qui plus est. Honnêtement, je trouve que la terre sublime à merveille les thés japonais, surtout les fukamsushi sencha, avec leurs liqueurs denses et généreuses.

Je ne dis pas que je ne sors jamais la porcelaine cela dit. Les très beaux futsumushi sencha que je connais comme ceux de Florent ou de Yazu Kakegawa y sont sublimes. En terre également, mais d'une façon différente. Et pour une raison que je ne m'explique pas, autant je me refuse "idéologiquement" à transformer même un tant soit peu un wulong chinois, autant - malgré une période de réflexion - ça ne me dérange au final pas plus que ça pour les thés japonais. Allez comprendre...




Dernièrement, j'ai emprunté la méthode de Lionel qui consiste à alterner un kyusu cuit en oxydation (Shudei) et un autre cuit en réduction (Yakishime si je ne dis pas de bêtises). J'apprécie les changements qu'apporte cette alternance. Certaines alliances, certaines règles oserai-je dire, semblent se dégager à la longue. Mais en fait, il s'agit plus de préférences suivant le tempérament et l'humeur du jour, aucune variante n'étant vraiment décevante. Le rendu aigu, vert et frais de la terre rouge de Tokoname utilisée par Yamada So, la profondeur, la longueur et la puissance diffuse de cette même terre cuite en réduction. C'est d'ailleurs tout l'intérêt d'alterner : les mêmes feuilles, mais tant de différences au final.




























Seulement voilà, il y a quand même une partie de moi qui se demande régulièrement ce que donnerait tel ou tel thé sans presque aucune altération, avec de la porcelaine. Ça vient juste de m'arriver. Marrant pour moi qui n'utilise que ça par ailleurs. Mais il y a quelques jours, alors que j'ouvrais fièrement mon tout nouveau sachet de Yumewakaba 2013 de Hiruma-san, une envie subite d'utiliser de la porcelaine me prit. Soit. Je me fis une petite session du tonnerre, ce thé étant vraiment excellent. Le lendemain matin, me frottant les mains à l'avance à l'idée de réitérer cette belle session de la veille, je sors mon kyusu rouge, et je me lance... Sauf que je n'ai vraiment pas le même plaisir. La liqueur a comme une finale sèche qui gâche un peu la longueur, du moins par rapport à mes souvenirs. Je mets ça sur le compte d'un oubli, d'une erreur. Et puis ce genre de choses, ça arrive. Je ne me formalise pas.





Sauf que le lendemain, bien décidé à me venger, je sors la Yakishime, et le résultat là non plus n'atteint pas la hauteur de mes espérances. Ahah ? Je commence à me poser quelques questions, inspecte ma boîte à thé, mes théières. Était-ce dû au fait que le thé était juste sorti du sachet ? J'enchaîne directement sur une session avec un kyusu en porcelaine pour en avoir le coeur net, et là... je renoue immédiatement avec le bonheur connu l'avant-veille. Alors... Mais... Je n'en ai aucune idée... 





Qu'est-ce qui fait qu'un sencha sortira mieux avec tel ou tel matériau, telle cuisson ? Les goûts personnels, bien sûr, mais à part ça ? Au début de mon aventure avec les thés japonais, je lisais souvent la prose d'un amateur chevronné, qui ne buvait essentiellement que des futsumushi sencha, et qui avançait que pour ces thés, la porcelaine était imbattable, qu'un beau thé n'avait pas besoin d'être changé, discours que je connais bien pour l'appliquer aux thés chinois... À mes débuts, je m'étais donc dit : "quelle aubaine, un seul kyusu et hop, le tour est joué !" (oui je sais, je ne suis pas crédible...) Mais l'expérience m'a vite montré qu'une belle terre apportait une dimension supplémentaire, surtout en ce qui me concerne les terres cuites en réduction dans mon cas.





Toujours est-il qu'au moment où j'écris ces lignes, j'ai essayé le Yumewakaba de Hiruma-san dans tous mes kyusu : Shudei et Yakishime de Yamada So, Shimizu Ken noire cuite en réduction et même modèle version Nosaka, hohin de Bizen... et aucun ne m'a donné une satisfaction proche de celle connue avec la porcelaine. Le plus bizarre, c'est que je suis sûr que ce n'était pas le cas de quasiment tous les sencha que j'ai bus l'année dernière, et il en a eut.










Suis-je condamné à essayer tous les matériaux à chaque fois que j'ouvre un nouveau sachet ? Déjà qu'en général je me cherche pas mal niveau températures, certains sencha sortant mieux à mes papilles à température plus basse, et d'autres en commençant plus haut. L'avenir me le dira. En attendant, si quelqu'un a des pistes, j'avoue que je serais preneur... Ce monde des thés japonais est vraiment différent. 







Peut-être devrais-je l'aborder autrement, me poser moins de questions, être un peu plus dans l'instant (Ichi-go ichi-e(一期一会)), chose qu'il m'arrive quand même de faire, y compris pour les thés chinois. Mais comme je l'ai déjà soulevé dans l'article précédent, je pense que pour être capable de "lâcher prise", il faut auparavant s'être posé ce genre de questions, être fort d'une certaine expérience, si ce n'est d'une expérience certaine. Quand on observe un "maître" quelle que soit la discipline, on a toujours l'impression que c'est simple, naturel. Mais combien de milliers d'heures de travail y a-t-il derrière, d'entrainement technique (gammes, kata, etc) et de réflexion ?


À bientôt, ici ou ailleurs.


13 commentaires:

  1. 6 kyusu ou hohin x disons 8 sencha différents sur la saison (au bas mot) x 3 progressions de températures x idem pour les durées d'infusion = 432 combinaisons à tester !! c'est faisable...

    Ah l'insondable mystère de l'infusion des sencha...Ce matin mon Okumidori de Ashikubo était moins bon que les 2 fois précédentes, pourtant les mêmes paramètres. Hier mon Asatsuyu très différent de la fois d'avant, mêmes paramètres. Incapable de dire pourquoi.

    Pour ma part, il est de toute façon INENVISAGEABLE de mettre des feuilles de sencha (ni de pu er d'ailleurs !) dans de la porcelaine...c'est bizarre, je rate sûrement des trucs (comme ton Yumewakaba en porcelaine) mais c'est ainsi...

    Joli article, richement illustré...

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  2. Merci. Le but n'est pas ici de chercher à persuader qui que ce soit à utiliser tel ou tel matériau, surtout des cas désespérés comme toi mon cher lionel... ;-) Le parcours d'un amateur de thé est jonché de périodes de doute et d'incompréhension. Il est pas mal aussi de parler d'elles et pas que des superbes dégustations qui se passent - comme par hasard - à merveille.

    Mais tu as raison, je vais commander les sencha par 10kg de façon à pouvoir en profiter une fois que j'aurais trouvé les meilleures combinaisons !

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  3. J'ai suivi de nombreux de cours de vin et l'un de mes profs qui nous a "initié" aux concours, nous a dit un jour que notre classement de vins fait lors d'une soirée ne serait pas le même le lendemain car cela dépend entre entre à notre état d'humour sur le moment. Un vin que nous apprécions beaucoup un jour n'est pas forcément celui que nous trouverons le meilleure le lendemain. Il faut également ajouter que nous avons des capteurs sur la langue qui changent fréquemment. C'est l'une des raison pour laquelle un thé que nous dégustons un jour, n'aura pas le même goût un autre jour même si nous utilisons les mêmes paramètres.

    Dans ton expérience, David, tu expérimentes plusieurs théières en même temps, cela permet de démontrer que certains matériaux sont préférables à d'autres pour un type donné de thé. Ton état d'esprit était le même pour le thé fait dans la théière de Yamada So que la porcelaine.

    Le thé comme le vin est rempli de mystères et c'est pour ceci qu'ils sont captivants, attirants. Si le thé ou le vin étaient des sciences exactes, ils n’attireraient pas autant...

    Je n'ai pas de conseils à donner, je m'aperçois juste qu'à force d'expériences et d'analyses et de théorie côté vin, je suis capable de mieux l'appréhender. Je n'en suis pas encore là pour le thé mais j'y travaille. David, à force de boire du thé, tout s'emboitera et tu auras franchi un palier de plus...

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  4. Merci pour ton message. Oui, même s'il serait rassurant que des paramètres identiques donnent exactement le même résultat à chaque fois, cela ôterait beaucoup de charme.

    C'est aussi pour ça que j'aime autant le thé : chaque dégustation, aussi anodine soit-elle, fait progresser un peu plus. Il faut, comme tu le précises si justement, juste être patient. Chaque question trouve un jour une réponse. On navigue d'interrogations en révolutions. Et il y a toujours de nouvelles questions qui viennent chasser les certitudes.

    Encore merci.

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  5. Salut David,

    "Se poser les bonnes questions", ne permet pas nécessairement et à coup sûr "d'avoir les bonnes réponses". Hélas !

    Être dans une voie (le thé ou un art martial, par exemple), permet d'avancer dans un espace donné. C'est tout !

    Je n'ai aucune réponse à t'apporter concernant les thés japonnais, ou la porcelaine. Seulement ta question est basée sur ta recherche du mieux, du meilleur, de la méthode. Le thé ne répondra pas. Le thé t'aidera peut-être, mais ne répondra pas. Simplement ce n'est pas sa discipline... au thé.

    Ta volonté, ta sincérité de recherche va au delà de la voie du thé (je sais je sors du sujet). La réponse sera au delà :)

    Enfin je te le souhaite de tout coeur.

    Amitiés
    Nicolas

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  6. Dans ma Voie du Thé, j'ai été dans le " Ça ", la découverte; le " Moi " mon égo et tout le bla bla via le blog; puis le " sur moi " actuellement on dira...
    Il est impressionnant de voir le pied que je prends d'avoir lâché quelque part mon égo, de l'avoir mise à l'écart : certes, il est toujours là, vivant, vivace, prenant et certainement encore trop grand, mais le plus éloigné possible en ce qui concerne la discipline Thé...Le Thé, la théière ou le Zhong doivent être au centre, les seuls, importants; ils doivent former un Tout, et je dirais même que l'on doit s'effacer à un moment tout en étant concentré et au final on aura de toutes les manières une liqueur qui nous reflétera...Ce n'est pas simple et c'est là toute la magie du Thé.
    Le Lâcher prise...

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    1. Salut Philippe,

      Oui l'égo, toujours l'égo. Certes il nous aide à avancer, mais il devient ensuite un poids, ou un obstacle. De mon côté je tente aussi de le lâcher au fur et à mesure des infusions :)

      Amitiés
      Nicolas

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  7. Bonjour,

    Je voudrais savoir comment vous nettoyez vos kyusu ? Moi j'utilise du vinaigre blanc en frottant les tâches de tanin et ensuite je rince correctement.

    Bien à vous.
    Merci

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    1. Bonjour,

      Si en porcelaine, eau de javel diluée. Pour la terre, plusieurs méthodes : http://forumdesamateursdethe.fr/viewtopic.php?f=76&t=398

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    2. Merci pour le lien.
      Quelle théière me conseillez vous pour avoir un bon goût ?
      Je possède en ce moment une théière Tokoname.

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    3. C'est une question difficile... http://www.forumdesamateursdethe.fr/viewtopic.php?t=203

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  8. Merci intéressant , c'est vraiment très diversifié le monde du thé.
    Pour le kyusu j'utilise celui de ippodo avec ses tasses de 10 cl pour les sencha et ça me va à râvir , facile à nettoyer en plus .
    Je me posé la question sur une testubin , est ce que cela vaut vraiment le coup pour faire bouillir l'eau ?
    J'ai lu dans un article qu'il fallait faire bouillir l'eau pour enlever l'oxygène dans l'eau car sinon les feuilles de thé ne seront pas directement en contact avec l'eau pour libérer leur arôme, c'est comme quand on rentre dans un bain chaud mais pas bouillant on a des petites bulles d'air sur la peau.

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    1. Au début, il y a tellement de paramètres à maîtriser (qualité de l'eau, du thé, dosage, température, matériel...) que la question de la tetsubin n'est pas essentielle. Mieux vaut se focaliser sur le thé.

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