vendredi 21 juin 2013

Réflexions...






En ce début de saison, j'avoue ne pas m'être précipité sur les thés verts japonais nouveaux (shincha) comme certains collègues et néanmoins amis... J'ai profité d'une proposition relayée par Sébastien pour goûter aux thés verts chinois de la sélection de Charlotte.

Mon but ici n'est pas de parler de ces thés en particulier, Sébastien le fait déjà avec brio (avec qui ?), avec la simplicité et la sincérité qu'on lui connait. J'ai envie de vous parler des changements que m'a suscités cette nouvelle rencontre, des réflexions que j'ai eues à ce sujet.








Une nouvelle sélection de thés, un nouveau vendeur, je ne cacherais pas que ça faisait longtemps. Je retire un certain plaisir à suivre la sélection de très peu de vendeurs, voir leurs évolutions. Car à suivre la sélection entière d'une personne, on commence à connaitre sa vision des choses, ses goûts. Mais pas uniquement. Ayant la chance de connaitre bien la plupart de mes fournisseurs, certains que je suis même fier d'appeler amis, c'est toute leur personnalité, leur coeur, qui se dévoilent dans le choix qu'il/elle propose.








Il y a les critères de qualité qui, bien qu'étant quantifiables, restent personnels. Mais aussi les choix qu'il y a derrière : celui par exemple de proposer un thé peut-être un peu moins bon, mais produit avec une démarche noble : agriculture biologique ou "naturelle", respect de la tradition, des petites exploitations, bonne démarche écologique, etc. David Collen me disait par exemple l'autre jour que ses galettes 2013 étaient acheminées par bateau plutôt que par avion, pour gagner quelques deniers certes, que les galettes aient un peu plus de temps pour se remettre du pressage, mais aussi pour que l'emprunte écologique du thé soit tout simplement moindre. Libre à chacun d'acheter les thés qu'il veut, bien entendu, mais moi je préfère ces galettes qui sont issues d'une passion sincère, et du soucis du détail.








Il est intéressant de voir comment les vendeurs sélectionnent leurs feuilles. Bien entendu, je ne parle ici que de ceux qui vont sur place, qui rencontrent les producteurs et les théiers. Akira me disait que pour lui, un déplacement en Chine, à Taiwan ou ailleurs pour sélectionner du thé était un moment très important (ce qui se comprend) et sa préparation était de fait méticuleuse. Quand on a des heures d'avions à faire, donc un décalage horaire, de la fatigue, il faut néanmoins être au top pour discerner le bon grain de l'ivraie. Certains producteurs, me confiait-il, testent les potentiels acheteurs. Ils ne vendront pas leur meilleur thé au premier venu. Il ne faut donc pas se tromper. Et c'est plus facile à dire qu'à faire quand on est fatigué, qu'on a mangé un truc indigène juste avant, qu'on souffre du climat ou de l'air conditionné...








Il est intéressant de voir comment cette année il change quelque peu ses critères. Ne recherchant auparavant que ce qu'il nomme "aftertaste", soit pour lui les effets de gorge (Hui Gan), il essaie de combiner à présent le corps du thé, sans oublier le premier bien évidemment. Il est marrant de réaliser avec le recul que le lien d'amitié que j'ai avec Akira a pour origine cet aftertaste. C'est ce trait des thés qui m'a toujours attiré, fasciné, et qui est à l'origine de mon goût pour la sélection d'Akira, puis du dialogue qui s'est mis en place entre nous, puis de notre rencontre, etc. Comme quoi, la sélection d'un vendeur, ça parle à certains plus qu'à d'autres. Il me disait que parmi les centaines de personnes qu'il avait vu défiler dans sa boutique, un bon tiers était insensible à ses propres critères de sélection. On n'y peut rien.  On n'a pas tous les mêmes sensibilités, et il n'y en a pas a priori de meilleures que d'autres.








Tout cela pour dire que l'approche très scientifique et empirique d'Akira se retrouve dans ses thés, dans l'homogénéité de sa sélection, qui couvre toutes les familles de thés et qui croît d'année en année (mais comment fait-il ?). Mais j'aurais pu en dire autant d'autres vendeurs. Quand on connait les personnes, ça saute aux yeux. Le lien entre la sélection et la personnalité du vendeur est entier. Ça ne veut pas dire que quelqu'un de malhonnête ne pourra pas vendre du bon thé, malheureusement. Mais ce n'est pas le sujet.








Charlotte me confiait qu'elle était très concentrée quand elle sélectionnait son thé, et qu'outre ses références personnelles et ses propres critères, son coeur jouait un rôle fondamental. Et bien, je pense que ça se retrouve dans ses thés. Ce n'est pas en les disséquant que je pense l'avoir compris. Mais c'est aussi en essayant de comprendre sa vision. Alors, le thé m'est apparu autrement. Une nouvelle perception, une nouvelle compréhension, peut-être aussi de la personne qui les a choisis. (Je ne parle pas des personnes qui fabriquent les thés ici, car ce n'est pas le sujet, mais il est bien évident que leur mérite est entier).








En l'occurrence  j'ai appris avec ces thés à être plus relax quant au mode de préparation, d'être plus contemplatif, de prendre plus mon temps. Et surtout de ne pas chercher les choses que je cherche presque machinalement dans des thés venant d'autres vendeurs, que je connais. J'avoue avoir été circonspect, si ce n'est déçu lors de mes premières dégustations, car justement je ne faisais pas l'effort de m'extraire de mon petit confort, des thés que je connais. Être plus intuitif, fort du peu d'expérience que j'ai derrière moi. Une bonne leçon. Car je ne crois pas non plus aux interventions divines et à la science infuse. L'intuition vient aussi des expériences passées, des échecs et des réussites.








Je ne dis pas qu'il faut adopter la vision du vendeur pour apprécier ses thés. Juste que c'est certainement mieux pour le comprendre, ce que je trouve très intéressant personnellement. Par exemple, je m'intéresse depuis quelques mois à la sélection d'Eugène de Tea Urchin. De prime abord, on se dit : "tiens, encore un nouveau vendeur de puerh, pourquoi s'embêter ? combien de chances y a-t-il qu'il soit sérieux, que ses thés soient bons et en accord avec le prix ?" Puis, je me suis mis à lire son blog. Là, on voit la démarche du bonhomme, son goût de l'authenticité, son respect pour la tradition et des personnes. On apprend à le connaitre en lisant sa prose. Puis viennent les premiers échanges. Il faut goûter ensuite pas mal de thés pour arriver à percevoir des dénominateurs communs, puis la personnalité du vendeur au travers de sa sélection. Je n'en suis pas encore là avec Eugène, mais j'y travaille. Et ce que je vois me plait beaucoup... Bref.








Il y a toujours quelque chose à apprendre à essayer des thés chez un revendeur sérieux et passionné. On y verra sa vision des choses. D'ailleurs, la plupart de mes revendeurs m'encouragent à le faire. L'expérience d'un buveur de thé se fait en buvant du thé. Collectionner les différentes visions est une voie que j'emprunte pour progresser. Cela demande de pousser un peu, de ne pas butiner sans cesse à droite et à gauche. Certaines voies parlent plus que d'autres. L'amitié et la passion jouent un grand rôle. N'est-ce pas d'ailleurs le plus important ?


À bientôt, ici ou ailleurs.


11 commentaires:

  1. L'article de Charlotte sur le Temps est un modèle du genre.
    Merci pour ces réflexions pertinentes, David.
    Je vais prendre le temps pour découvrir sa sélection et je lui passe le bonjour en passant en ce premier jour d'été.
    J'ai longtemps été pressé par mon blog au sens propre comme au figuré; et de m'en être comme débarrassé est un accomplissement qui m'a libéré. Je l'ai toujours su mais ne pouvais m'en passer; je me disais mais quand viendra ce jour ou enfin je pourrais boire un thé sans avoir à relater. De belles rencontres ont certes pu se faire, des liens se nouer, quelques paroles s'exprimer mais pouvoir se taire,admirer et contempler est un privilège quasi sacré.
    Au final je me suis lassé de devoir bavarder, le temps est si précieux et file à vitesse grand V. Il faut savoir à un moment T, tourner cette page parfois lourde et chargée. Ne jamais se forcer est une règle que je me suis accordée pour encore mieux pouvoir distinguer ce qu'est le Thé.
    Et Que vive l'été !

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    1. Merci pour ce petit bout de poésie Philippe. Au plaisir.

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  2. Très belles réflexions qui prouvent que c'est avec un esprit ouvert et clair que l'on peut sans cesse évoluer, et découvrir des choses sur le thé et sur soi-même. Lorsque tu parles d'un côté plus relax, plus intuitif, tu es pile dans l'esprit chinois, qui savoure le thé comme le moment présent, de manière libre et sans attentes. Cela me fait penser à une chose qu'on dit dans le chan (zen): ce thé est-il bon ou mauvais ? ni l'un ni l'autre, ce thé EST, voilà tout. Si l'on peut se laisser porter lors d'une dégustation, qui permet justement de prendre un moment sans pensées, sans bavardages, alors on s'approche de l'essence même du thé. Je ne crois pas non plus aux miracles, ni à la science infuse. Mais nos actes, nos choix et nos pensées nous conduisent à vivre des expériences et des rencontres qui nous façonnent.

    Finalement, je suis heureuse d'avoir partagé des thés que je sélectionne avec des compatriotes bloggers, car cela me permet aussi d'avoir une vision à laquelle je n'ai pas vraiment accès habituellement. Et c'est très enrichissant. Pour moi, quand le thé permet de sortir de sa zone de confort, c'est déjà pas si mal, parce que ça permet d'avancer.

    Bonjour à toi Philippe. Je vois que d'avoir lâché prise te permet de savourer des instants thé dans le calme et la sérénité. Je suis d'accord avec toi, c'est un privilège quasi sacré qu'il faut savoir apprécier à sa juste valeur, sachant que l'on a aussi que les privilèges que l'on veut bien se donner.

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    1. Merci à toi Charlotte pour cette opportunité.

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  3. Plus je bois de thé, plus je lis de blogs de passionnés par le sujet, plus j'ai l'impression que le thé est un miroir. Il reflète la personnalité de qui l'a sélectionné mais aussi celle de celui ou celle qui l'a choisi, préparé et dégusté.
    Au fond de la tasse, on trouve ce que l'on est.

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    1. Intéressante remarque. Je pense aussi - et malheureusement - qu'il faut se méfier des apparences. J'ai personnellement déjà été profondément déçu par des personnes que je ne connaissais que par les écrits, surtout des professionnels d'ailleurs, ce qui semble logique... Mais c'est peut-être moi qui suis mauvais psychologue. Ce qui est sûr c'est que pour moi, la dimension humaine, honnête et sincère de mes revendeurs est un critère fondamental. Plutôt boire du moins bon thé que de soutenir des personnes que je n'apprécie pas. Cela dit, le thé d'une personne honnête et passionnée sera toujours intéressant.

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  4. Apprendre à désapprendre.

    Varier la famille de thé, découvrir un nouveau fournisseur et sa vision du thé, ou tout simplement préparer un thé hors de chez soi.
    Sortir de sa zone de confort.

    Tout ça fait du bien et on (re)découvre de nouveaux parfums, des sensations différentes. Et puis, comme David, certains vendeurs m'attirent par d'autres éléments que la seule sélection ou la qualité de leurs thés.

    Et comme le disait Lihua, on se trouve parfois soi-même au fond d'une tasse!

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    1. "Apprendre à désapprendre" : le titre d'un article commencé et abandonné de nombreuses fois... Merci de passer par là.

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  5. C'est sûr qu'il y a suffisamment de vendeurs de thé pour avoir le choix. Sur internet, on peut lire des blogs qui décrivent certains thés en termes très élogieux, mais cela reste virtuel tant que l'on n'a pas été au contact des feuilles. Si l'attente est grande, la déception peut l'être tout autant. Cependant, certains thés demandent à être apprivoisés, il faut parfois aller au-delà de la première impression. Il faut effectivement se méfier des apparences. Le thé déchaîne les passions mais c'est un univers encore mal connu du plus grand nombre. Lors d'un séjour en Irlande, j'ai passé la porte d'une maison de thé française, il y avait là tout ce qu'il fallait pour faire un bon thé (belles petites théières Yixing...) mais le thé qui était mis en avant était dans un distributeur thermostaté et sentait beaucoup la fraise et extrêmement peu le thé, au nez comme au palais. C'était un peu décevant, mais c'était sans doute ce que la majorité des clients irlandais attendaient. Heureusement, grâce à des blogs comme celui-ci, chacun peut découvrir qu'il y a autre chose que du marketing dans le thé.

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    1. Il n'est pas facile de se défaire des préjugés positifs ou négatifs. Par exemple, on lit des éloges sur un thé, on le goûte, on le trouve bon, puis à la longue on se rend compte qu'il n'est pas si terrible que ça... À qui cela n'est-il pas arrivé ? Le cas idéal serait de lire le moins possible, de ne pas être influencé. Alors arrêtez de lire mon blog, n'achetez pas les thés dont je parle, ce sera mieux !

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  6. Goûter un nouveau thé permet parfois de redécouvrir un thé qu'on croyait totalement connaître. Parfois le thé change mais aussi parfois c'est nous qui changeons.

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