dimanche 12 octobre 2014

De la passion du Thé...





On m'a posé la question il n'y a pas longtemps "pourquoi le thé ?" dans le sens, parmi toutes les passions possibles et imaginables, pourquoi celle-ci et pas une autre. Curieusement, même si j'avais déjà réfléchi à la question, ça m'a fait cogiter un peu. Je me suis par le passé intéressé à pas mal de choses, mais j'ai finalement toujours plus ou moins vite enchainé après avoir en eu un aperçu, à tel point que je me suis demandé à un moment donné si je n'allais pas passer ma vie à toucher un peu à tout. Y a pire. Mais au final, aucune passion n'aura tenu aussi longtemps que le Thé, et elle m'est tombée dessus (comme pour les céramiques d'ailleurs) sans crier gare. Qui aurait pu deviner il y a encore dix ans que je me hâterai dans des musées pour voir des vases chinois anciens, et que je dépenserai de telles sommes dans des feuilles séchées ? Pas moi en tout cas...


Alors qu'est-ce qui m'attire dans le thé plus que dans d'autres choses, et qu'est ce qui fait que ça tient ? Deux choses. Déjà, je pense que ce pourquoi je ne raccroche pas, c'est que je n'ai jamais eu le sentiment d'avoir à peu près compris les choses. C'est un monde tellement riche, sur tellement de niveaux. Il y a toujours quelque chose à découvrir, que ce soit dans les variétés de thé, les méthodes de fabrication, de culture, la tradition liée à tout ça, etc, que j'ai l'impression que je passerai ma vie à découvrir.

Découvrir. Tout ceci me fait penser à un débat qu'on retrouve souvent chez les amateurs de thé (entre autres) : le stockage ou l'échantillonnage. En gros, deux pratiques différentes, deux buts différents : "la soif de découverte", ma catégorie, ne jamais trop se fixer, toujours vouloir découvrir un nouveau thé, une nouvelle sélection voire un nouveau sélectionneur, un nouveau millésime, ce qui signifie ne jamais trop investir dans de grandes quantités, mais plutôt de papillonner d'échantillon en échantillon ; et "la technique de l'écureuil" qui consiste à chercher le truc qui plait pour en acheter des kilos, s'asseoir dessus et fermer boutique. Je ne sais si je glisserai un jour dans cette dernière catégorie, mais en tout cas elle ne m'attire pas du tout pour l'instant. Bien sûr, il m'arrive d'acheter une plus grande quantité d'un thé, par exemple une galette pour la postérité. Il y a la pression de la montée des prix des millésimes existants et de ceux à venir. La curiosité de voir comment ça va évoluer évidemment. Et puis, c'est bien d'avoir des valeurs sures en stock... Mais peut-être que je suis bêtement le mouvement initié par d'autres, non pas qu'il soit idiot, mais juste qu'il ne me correspond pas/moins. Pas étonnant du coup que je me retrouve souvent abonné aux vendeurs qui proposent des échantillons ou de petites quantités. Acheter une galette sans l'avoir goutée est quelque chose que je ne compte plus faire de si tôt. Ça fait deux années que je commande les échantillons de puerh d'Eugene par exemple, l'année dernière j'ai acheté une galette, pas cette année. Ça me suffit, non pas que les thés ne soient pas bons, mais j'ai beaucoup appris et c'est le but.

Bref, "la soif de découverte". Et n'en voyant pas le bout, ben je continue, encore et encore, toujours avec un plaisir intact. Il faut dire que le monde du thé ne se limite pas aux feuilles. Il y a bien évidemment les ustensiles. Je pense pouvoir affirmer sans trop de problèmes que certains amateurs préfèrent ces derniers aux feuilles en elles-mêmes. Ce n'est pas une critique mais c'est pour illustrer la richesse de ce monde : théières bien sûr, terre ou porcelaine, tasses, bols, bouilloires, et ça n'en finit pas.

Mais s'intéresser au thé, c'est aussi voyager, découvrir d'autres cultures, avec des histoires et des religions différentes. Chine, Japon, Corée, Inde... Comment ne pas se passionner pour l'Asie au passage ? Son histoire. Ses trésors

L'agriculture aussi. Plus terre à terre, ah ah. Mais c'est intéressant les différents modes de cultures, le bio, le "natural farming", les nouveaux procédés, les anciens. L'influence de l'altitude, de la géologie. La chimie aussi. Pour sûr, être curieux à propos du thé fait s'intéresser à beaucoup de choses.

Plus que tout, les personnes, les rencontres, réelles et virtuelles, sont une des principales raisons qui ne me donne pas envie d'arrêter de si tôt, que ce soit les rencontres déjà faites ou à venir. Passionné(e)s, professionnels ou particuliers, artistes, tant de personnes intéressantes et pour la plupart hautement sympathiques. Le thé c'est aussi la vision que chaque personne en a, et c'est pour ça que c'est un monde si riche.



Mais, dans ma pratique, il y a aussi la progression. Et c'est certainement le plus important à mes yeux. Alors la progression de quoi, et vers quoi ? En voilà de bonnes questions. Je dirais la progression sensorielle déjà, dans un sens large. Discerner la qualité sous toutes ses formes et affiner ses perceptions qu'elles soient organoleptiques ou plus profondes (Qi). Pas de secret pour cela, il faut boire (des savates et des grands crus) et comparer. Je ne pense pas que ce soit quelque chose qu'on puisse faire seul. Il faut être guidé un minimum. Et apprendre la qualité auprès d'une personne, d'une vision ne suffit pas à mes yeux. Mais ce n'est pas le sujet, bien qu'il soit intéressant. Le but est aussi de développer sa sensibilité aux choses. Et cela transcende encore une fois les barrières du thé. On découvre que les goûts et le palais changent, que derrière l'amertume se cachent de belles choses. Dit autrement, que derrière ce qu'on est conditionné à trouver amer, il y a un nouveau monde plein de beauté et de subtilités. 

Progresser vers quoi ? Voilà tout l'intérêt. Car dans cette philosophie asiatique que j'apprécie tant, dans cette Voie martiale, l'intérêt n'est pas la finalité, mais le chemin. Le but n'est pas d'atteindre une compréhension de son vivant, de décrocher la médaille d'or. Le but ultime est inatteignable, ça fait partie du contrat. Et ce n'est pas l'important de toute façon. Voilà quelque chose de bouleversant au sens premier du terme, qui rompt directement avec la vision occidentale que j'avais de beaucoup de choses. Ce n'est pas une activité que je fais dans un but précis, pas pour décrocher un niveau, le plus haut, mais juste pour progresser, pour l'enrichissement personnel. Car dans ce genre de progression, il n'y a pas que le palais et les yeux qui évoluent. C'est toute la sensibilité des choses qui est susceptible de bouger. On peut faire le parallèle entre le Thé et bien d'autres choses. C'est une de ses grandes forces !

À cela, je rajouterais que le thé apprend l'humilité, du moins devrait. Ma très jeune voie est jonchée de bouleversements, de révolutions. Chaque fois que je m'installe dans une pratique, que j'ai l'impression que des règles se dessinent, bam ! C'est la claque. Je découvre que les choses sont loin d'être aussi simples. Je pense sincèrement que le Thé est une discipline où il faut rester humble car on apprend toute sa vie, et on se rend compte qu'à un moment donné, alors qu'on était persuadé d'avoir une bonne compréhension de certaines choses, en fait, la réalité est beaucoup plus subtile. Ce n'est pas propre au Thé bien entendu. De plus, il y aura toujours quelqu'un d'autre qui aura une vision et/ou une pratique très différente de la sienne, qui suivra sa voie, qui ne sera ni meilleure ni moins bien.

Il n'y a pas de vérité finie dans le Thé. On ne l'enferme pas dans un tableau, dans des critères, dans un "c'est comme ça (et pas autrement)". Et c'est tant mieux. Le thé est comme un film de Kubrick qu'on peut revoir 100 fois à des moments différents de sa vie et découvrir, ressentir, comprendre des choses nouvelles à chaque fois. Est-ce le thé qui change ? Est-ce nous qui changeons ? Est-il différent pour chacun d'entre nous ? Qui sait ? Le but est peut-être justement d'embrasser cette Voie où on se remettra toujours en question, où on se prendra de toute façon des baffes à un moment ou un autre quand on aura l'impression d'avoir saisi le truc. On tombera, mais on se relèvera enrichi. Mais on ne pourra jamais dire "c'est comme ça et pas autrement". Bien sûr il y a des écueils à éviter. La préparation du thé est technique, comme un mouvement de sabre ou de pinceau qu'il convient d'avoir le patience de répéter des centaines voire des milliers de fois.



Moi qui ai toujours aimé faire le tour des choses, aimé avoir une approche manichéenne, globale, je suis incapable de me dégager de cette passion "infinie". Mais c'est sans effort que je continue... Progresser donc sans cesse, travailler sur soi, se remettre en cause. J'entendais récemment un Japonais qui prend des cours de cérémonie du thé depuis plus de 15 ans auprès d'un vieux maître de plus de 70 ans raconter que ce dernier continuait lui aussi à prendre des cours. Ça fait réfléchir... Le but n'est pas d'atteindre la perfection, mais de s'entrainer, progresser encore et toujours.


Till next time.